2019-05-07
 
Cette section est réservée aux membres du RQD

Révolutions en cours

Révolutions en cours

L’histoire de la danse de scène occidentale est pétrie d’emprunts aux cultures du monde, que les concepts d’appropriation culturelle et de racisme systémique viennent aujourd’hui questionner. Elle est fondée sur un sexisme qui a d’abord interdit les feux de la rampe aux femmes, en a fait des objets sexuels et peine encore à reconnaître en elles des artistes à part entière, positionnant fréquemment les danseuses comme de simples muses voire, de pures exécutantes. À l’image de la société humaine, cette histoire regorge de récits d’abus de pouvoir, de harcèlement et de manipulations en tout genre. Mais aujourd’hui, la coupe est pleine et les voix s’élèvent, de plus en plus nombreuses, pour réclamer un changement radical des visions et des pratiques. La communauté de la danse fédérée par le RQD s’est engagée à faire face à ces enjeux majeurs. 

Autres temps, autres mœurs. L’époque est aux paroles qui se délient dans les médias sociaux et traditionnels. La résignation et la honte font place à la colère et aux prises de position fermes. On ne craint plus de dénoncer les abus et l’on ne réclame plus justice, on l’exige. Et c’est tant mieux. Même si ce grand choc socioculturel met toutes les sensibilités à fleur de peau. Même si les remises en question qu’il implique génèrent désaccords, inconforts, résistances et crises existentielles ou structurelles.

Qu’il s’agisse de sexisme, de racisme ou de l’exercice des pouvoirs, les injustices sont si profondément ancrées dans les mentalités et les institutions que l’on ne peut imaginer de transformation que progressive. Au-delà des dénonciations et des procès publics dont se repait la bête médiatique, il est vital d’oser nommer les choses que l’on subit ou dont on est témoin – oppression, exclusion, maltraitance, abus… De reconnaître qu’elles existent, d’oser s’y opposer et de chercher comment les transmuter. Et ce, dans chaque situation de notre quotidien. Car le diable est bien souvent dans les détails. Ce travail exigeant, à la fois individuel et collectif, demande du courage, de l’ouverture à soi et à l’Autre, de l’humilité, de la bienveillance et de la confiance. Il ne saurait porter ses fruits s’il se fait dans la violence. Même si toute reconstruction doit passer par une forme de destruction. L’information, la formation, nous aideront à détricoter croyances, certitudes et réflexes pour rénover le concept de vivre-ensemble en adoptant de nouvelles manières de penser, d’être et de faire.

En processus depuis quelques années pour être toujours plus inclusif, le RQD participe au mouvement social en matière de racisme systémique et d’appropriation culturelle avec, entre autres, la mise en branle d’un comité de réflexion rassemblant plus de 20 personnes. Il collabore actuellement à l’élaboration d’une Politique contre le harcèlement comprenant une déclaration de tolérance zéro et s’interdit de recommander les services de quiconque est reconnu coupable de harcèlement et d’abus sexuels et, par mesure de précaution, de toute personne signalée par des victimes ne souhaitant pas porter plainte. Il propose également des formations pour favoriser un meilleur partage des pouvoirs dans les processus de création et une prise de conscience de ce qui fonde des relations de travail saines.

Les enjeux sont de taille et la tâche est immense pour répondre de manière adéquate à ces questions de société. Il appartient à chacun et chacune de s’ouvrir au changement et d’y contribuer en s’informant, en se rééduquant, si nécessaire, et en appliquant, à la mesure de ses capacités, le principe de tolérance zéro.  


Fabienne Cabado
Directrice générale du Regroupement québécois de la danse

RQD Co-presidents’ Message

  >  French version

Moving Forward

By Jamie Wright

For this first text, I was going to talk about one particular topic, but was getting a bit ahead of myself. So, I’ll take a few steps back, and start by talking about Valérie Plante instead, about how inspiring it is to have a 43 year-old woman at the helm of Montréal. She is proof that we can make a difference with our votes, and I wish her the best of luck in her new position.

We are in a time of great change; shifts in societal mores are forcing us to examine our behaviours under a microscope. There is less and less room for ignorance as an excuse. The status quo is not so status quo anymore.

The practice of professional dance is not immune to these shifts. The outdated culture of silence is being broken, if slowly. But we need to keep talking, openly, with courage and a healthy dose of self-awareness. All this in order to have safe work spaces, ones where personal and professional boundaries are always respected.

As co-president of the RQD, I am committed to hearing all issues/ideas brought to my attention, and will transmit them to the Board of Directors. In the meantime, the following topics are on my hit list: ongoing talks with UDA, workplace harassment/power abuse, financial precarity (a major stress factor which can lead to unproductive, sometimes aggressive communications), cultural appropriation vs. cultural appreciation, expanding membership to better reflect changing professional practices, and the list goes on.

I may not be running a major metropolis, but I am a 42 year-old woman at the co-helm of the Board of Directors of the RQD. I head into this adventure with much enthusiasm. Our organization is only as strong as its members and constantly accountable to its board. This is the transparent process of good governance. Good governance also means being open to criticism, hearing all sides of an issue, and then acting accordingly.

Let’s do this.

Jamie Wright
Dancer, teacher and rehearsal director
Co-president
 

Openness and Collegiality

By Lük Fleury

Dance entered my life by dint of a unique set of circumstances dating back to September 1982, when my Secondary 1 French teacher – whose husband was the director of a Québec folk dance troupe – put the following question to her students: “You’ll always find girls who’re interested in dancing, but because boys seldom share that interest, may I ask who, among the boys here, is interested in giving it a whirl?” The following Friday, the Loup-Garous held a rehearsal, and that’s when my love affair with the jig first began. It was as if I’d been given permission to make noise for the first time, and while I was timid initially, this introduction to the jig was nothing short of a revelation to me, a magical moment!

I’ve spent the better part of 20 years working on developing the contemporary jig movement, alongside some 20 choreographers, to ensure that this form of dance – the poetry of the feet – can thrive in the 21st century. Perseverance and collegiality are at the heart of my efforts to promote dance in Québec society. My involvement on the RQD board of directors in the past two years, and now as RQD co-president, has served to further this desire to highlight this art that inhabits me viscerally.

In my view, this new co-presidency with Jamie Wright bodes well for the future of the RQD, as it reflects a sense of diversity, both linguistic and artistic. As many have said, it’s a statement in favour of openness and inclusion. What’s more, this co-presidency is closely aligned with the spirit of collaboration and collegial management that drives RQD Executive Director Fabienne Cabado.

This is a golden opportunity to build bridges, spark debate, and shine a spotlight on some grey areas: Bridges with our cultural diversity, different dance practices, and the anglophone community. A debate around issues of public financing, successions, sharing richness and resources, attendance at shows, careers in the arts, unionization, and the just recognition of managers. And a spotlight on issues of cultural appropriation, racism and harassment. We must renew our efforts to mobilize the dance community and forge new, more just and respectful ties that are in synch with the solidarity embodied by our collective love for this art form.

Hope lies in this spirit of mutual help and collegiality, manifest with evermore vigour and eloquence.

Lük Fleury
Executive and Artistic Director of BIGICO, presenter specialized in the contemporary jig
Co-president

 

Messages des coprésidents du RQD

 >  English version

Aller de l’avant 

Par Jamie Wright

Dans ce premier texte, je souhaitais aborder un sujet en particulier, mais ne précipitons pas les choses. Je commencerais donc par parler de l’élection de Valérie Plante, cette femme inspirante de 43 ans maintenant à la tête de Montréal. Elle est la preuve que nos votes peuvent faire une différence, et je lui adresse tous mes vœux de succès dans son nouveau poste.

Nous vivons une époque de grands bouleversements; les transformations dans les mœurs sociétales nous obligent à examiner nos comportements au microscope. L’ignorance n’est plus une excuse suffisante. Le statu quo n’est plus aussi statu quo.

La discipline de la danse professionnelle n’est pas à l’abri de ces changements. La culture du silence archaïque implose doucement, mais sûrement. Mais il est de notre devoir de continuer à parler ouvertement, avec courage et une bonne dose de conscience de soi, afin de construire des environnements de travail sécuritaires où les limites personnelles et professionnelles sont toujours respectées.

En tant que coprésidente du RQD, je m’engage à rester à l’écoute de tous les enjeux/propositions portés à mon attention, et de les transmettre au conseil d’administration. D’ici là, mes priorités sont les suivantes: les pourparlers en cours avec l’UDA, les enjeux de harcèlement et d’abus de pouvoir au travail, la précarité financière comme facteur de stress majeur pouvant engendrer des communications stériles parfois agressives, l’appropriation culturelle vs l’appréciation culturelle, l’élargissement du membership pour mieux refléter l’évolution des pratiques professionnelles, et la liste continue.

Je ne dirige peut-être pas une grande métropole, mais je suis une femme de 42 ans à la coprésidence du conseil d’administration du RQD. Je me lance dans cette aventure avec beaucoup d’enthousiasme. L’organisation tire sa force de ses membres et doit toujours se rapporter à son CA dans un souci de transparence de la gouvernance. Une bonne gouvernance signifie également être ouvert à la critique constructive, rester à l’écoute de toutes les parties prenantes, puis agir en conséquence.

Allons-y.

Jamie Wright
Interprète, enseignante et directrice des répétitions
Coprésidente

 

 

Ouverture et collégialité

Par Lük Fleury

La danse est entrée dans ma vie par un concours de circonstances. En levant la main, en septembre 1982, dans mon cours de français en secondaire 1. Devant moi, la professeure – dont le mari était directeur d’une troupe de folklore québécois – demandait encore cette année-là: il y a toujours des filles qui veulent danser, mais les garçons, c’est rare, alors je me risque à le demander, parmi vous, y en a-t-il un intéressé? Le vendredi suivant, soir de répétition chez les Loup-Garous, j’ai commencé à giguer. Timide à l’époque, c’est comme si j’avais pour la première fois le droit de faire du bruit. Oh, la révélation, qu’elle fut magique!

J’œuvre depuis presque vingt ans à développer le mouvement de la gigue contemporaine, aux côtés d’une vingtaine de chorégraphes, afin que cette langue des pieds puisse traverser le XXIe siècle. Persévérance et collégialité sont au cœur de mon implication à faire valoir la danse de manière significative au sein de la société québécoise. Mon implication des deux dernières années au conseil d’administration du RQD, et maintenant comme coprésident, élargit cette volonté de valoriser un art qui m’habite viscéralement.

À mes yeux, cette nouvelle coprésidence avec Jamie Wright est significative dans l’évolution du RQD. Elle s’inscrit sous le signe de la diversité, linguistique et artistique. Comme diront plusieurs, c’est un statement en faveur de l’ouverture et de l’inclusion. De plus, cette coprésidence est en étroite filiation avec l’esprit de collaboration et la gestion collégiale qu’impulse la directrice générale, Fabienne Cabado.

Voilà une belle opportunité de bâtir des ponts, susciter les débats et lever le voile sur des zones d’ombre. Bâtir des ponts avec la diversité culturelle, les différentes pratiques en danse et la communauté anglophone. Susciter les débats autour de plusieurs enjeux : le financement public, les successions, le partage de la richesse, l’assistance aux spectacles, le partage des ressources, la carrière artistique, la syndicalisation, la valorisation des gestionnaires. Lever des zones d’ombre sur l’appropriation culturelle, le racisme et le harcèlement. Se mobiliser pour échafauder de nouveaux rapports, plus justes, plus respectueux et en harmonie avec une fraternité qui porte en elle l’amour de la danse.

Un esprit d’entraide et de collégialité se manifeste avec de plus en plus de vigueur, avec éloquence même. C’est porteur d’espoirs.

Lük Fleury
Directeur général et artistique de la BIGICO, diffuseur spécialisé en gigue contemporaine
Coprésident

Au revoir, cher Vincent Warren

Le 25 octobre dernier, Vincent Warren s’en est allé rejoindre les étoiles. Le Regroupement québécois de la danse a tenu à saluer, lors de l’assemblée générale annuelle des membres, l’humanité, la générosité et la richesse intérieure de ce grand artiste et pédagogue, membre honoraire de l’association.

Danseur emblématique des Grands Ballets Canadiens de 1961 à 1979, Vincent Warren incarnait un idéal de beauté, de charisme, d’expressivité et de sensibilité. Professeur passionné, il a formé plusieurs générations de danseurs. Historien de la danse et ancien conservateur de la Bibliothèque de la danse de 1979 à 2007, il accordait grande importance à la mémoire et au patrimoine de la danse, la bibliothèque, qui détient aujourd’hui la plus importante collection de documents en danse au Canada, porte d’ailleurs son nom depuis 2010.

Son engagement envers ses pairs l’a mené à présider l’Association Danse au Canada, le Regroupement québécois de la danse, de même qu’à être membre du Conseil des arts de la Communauté urbaine de Montréal.

De nombreux prix et distinctions ont jalonné le parcours de Vincent Warren, notamment la Médaille du Jubilé de la Reine-Elizabeth, le Dance in Canada Service Award, le Prix Denise-Pelletier, l’Ordre du Canada et, le printemps dernier, l’Ordre des arts et des lettres du Québec.

Il a aussi été la tête d’affiche du court métrage nommé aux Oscars, le célèbre Pas de deux, réalisé par Norman McLaren en 1968. Plus récemment, le magnifique long-métrage documentaire sur sa vie, Un homme de danse, fut réalisé par Marie Brodeur.

Humaniste dans l’âme, il s’est généreusement employé à tendre des ponts entre les générations, entre le ballet classique et la danse contemporaine, la tradition européenne et l’avant-garde nord-américaine, l’Orient et l’Occident, le milieu de la danse et les institutions, les artistes et le public.

Une carrière exceptionnelle et un legs inestimable pour le peuple québécois et plus spécialement, pour la communauté de la danse.

Au revoir, cher Vincent Warren.
Allocution de Harold Rhéaume, président sortant du RQD
Montréal, le 27 octobre 2017

 

Lire aussi:

 

Variations sur l’équité

Par quel bout aborder la pertinence du travail du RQD pour rallier le plus de monde possible à l’approche du traditionnel Rendez-vous annuel des membres? En passant en accéléré le film trépidant des 12 derniers mois, un fil rouge apparaît. Un thème qui le rythme et sous-tend la grande majorité de nos actions, de nos travaux et de nos échanges: le besoin d’équité. Revue de l’année et des iniquités au fil des quatre saisons.

L’automne dernier a été marqué par un débat sur les successions qui a fait ressortir le désir déjà exacerbé d’une répartition plus équitable de la richesse entre les générations. Présenté caricaturalement, tandis que les plus vieux défendent la préservation des acquis et le droit de finir leur carrière dans la dignité, les plus jeunes réclament leur part du gâteau et les générations intermédiaires pointent l’anémie caractérisée dont elles souffrent. À l’évidence, on manque de ressources pour sustenter tout le monde. Mais ceux qui tiennent les cordons de la bourse ont généralement d’autres préoccupations et priorités, comme en témoigne le discours du premier ministre à l'occasion du tout récent remaniement ministériel.

Soucieux de satisfaire aux désidératas des générations montantes, le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) annonce que le critère d’historicité disparait de ses grilles d’évaluation. Désormais, argent supplémentaire ou pas dans ses coffres, 25% de ses crédits destinés au fonctionnement des organismes seront réservés à de nouveaux joueurs. S’ils veulent tirer leur épingle du jeu, les anciens auront intérêt à se mettre à la page et, si possible, à l’heure du numérique. Et si l’un d’eux quitte le circuit, rien ne garantit que les deniers dont il bénéficiait retomberont dans l’escarcelle de la danse. Une conception de l’équité qui nourrit l’inquiétude tout autant que l’espoir.

L’hiver a débuté avec la grande course aux subventions de fonctionnement dont les résultats ne seraient prononcés qu’à l’été. En février, une cinquantaine d’associations et de regroupements exprimaient leur ras-le-bol de voir les représentants des arts et de la culture tenus à l’écart des décisions en matière d’emploi et de formation continue. De cette action allait naître une coalition – baptisée La culture, le cœur du Québec – qui se bat pour qu’artistes et travailleurs culturels jouissent des mêmes droits et avantages que la main-d’œuvre des autres secteurs. À commencer par des conditions socioéconomiques décentes pour tous et toutes.

Avec le printemps et le dévoilement du budget du Québec, on a appris avec stupéfaction que, malgré la période décisive d’évaluation quadriennale au CALQ, la société d’État ne disposerait pas des 40 M$ supplémentaires réclamés depuis près de 10 ans. Il a fallu descendre dans la rue, piquer l'attention des médias et de l’opposition officielle pour que le ministère de la Culture et des Communications (MCC) dégage un petit 4 M$, agrémenté de 3,2 M$ ponctionnés dans l’enveloppe spéciale qui venait d’être attribuée à la création jeune public pour cinq ans. Promesses envolées, espoirs déçus, frustration grandissante.

À l’été, les actions de ces coalitions ont finalement porté fruit, le MCC ayant consenti à mettre en place des comités de travail avec une trentaine d’associations et de regroupements pour inspirer le plan d’action de sa nouvelle Politique culturelle. Pleinement engagé dans ces combats où l’on a aussi défendu, par toutes sortes de travaux et interventions, l’importance capitale du lien entre culture et éducation, le RQD est également intervenu pour une plus grande présence de la danse à l’école.

L'organisme a aussi œuvré pour d’autres formes d’équité. Entre les activités de formation favorisant le codéveloppement ou le partage des pouvoirs dans les processus de création et la publication d’une trousse contractuelle, le RQD a offert des outils pour favoriser de meilleures relations professionnelles. Il a manqué de temps pour s’engager dans une coalition pour une meilleure équité pour les femmes en création, dont il s’était rapproché. Il n’a fait qu’amorcer, faute de moyens, des discussions avec le Centre de ressources et transition pour danseurs et avec l’Union des artistes pour la création d’un groupe de travail pour lutter contre le harcèlement psychologique et sexuel dans le secteur de la danse. Enfin, il est en train de rassembler les membres de son nouveau comité Inclusion et vivre-ensemble pour s’attaquer, entre autres, aux questions de racisme systémique et d’appropriation culturelle.

De tout cela, et de bien d’autres choses, nous parlerons au RDV annuel des membres des 27 et 28 octobre prochains, où sera élue une nouvelle présidence et où sera mise en jeu la notion de valorisation de la danse. Venez! C’est important.
 

Fabienne Cabado
Directrice générale du RQD

Rêver mieux

Dans mon tout premier édito, je me demandais comment stimuler la réflexion pour trouver des solutions inattendues à des problèmes connus, de nouvelles façons de vivre et de grandir ensemble. Un an plus tard, le renouvellement de la Politique québécoise de la culture ouvre les perspectives d’un futur à inventer et à bâtir collectivement. L’enjeu macro : positionner les arts comme une vraie priorité gouvernementale et dégager des budgets suffisants pour favoriser les développements disciplinaires et l’amélioration nécessaire des conditions socioéconomiques des artistes et des travailleurs culturels. Un vieux rêve dont la concrétisation ne dépend que d’une volonté politique.

En réponse à la forte mobilisation dénonçant les insuffisances budgétaires du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et aux actions individuelles et collectives des membres du Mouvement pour les arts et les lettres et de la Coalition La culture, le cœur du Québec, le ministère de la Culture et des Communications (MCC) a réuni les milieux artistiques au sein de comités de travail. Mais si nos voix sont ainsi entendues, rien ne nous garantit que nos arguments seront compris et nos besoins, satisfaits.

Pour plusieurs des représentants des associations et regroupements nationaux participant à ces comités, les solutions inattendues aux problèmes connus seraient que le plan d’action de la future Politique québécoise de la culture soit assorti de mesures législatives et budgétaires qui permettent de changer réellement la donne. De faire en sorte que tous les acteurs des milieux artistiques puissent se consacrer à leur mission et à créer de la richesse plutôt que de perdre leur temps à justifier la légitimité de leur existence, à se battre pour une juste reconnaissance de leur apport à la société.

À l’heure où le gouvernement Couillard développe une stratégie pour «amener les secteurs d’activité traditionnellement au cœur de notre économie à se moderniser» et investit près de 2,8 milliards de dollars sur 5 ans pour «encourager nos manufacturiers à innover, stimuler l’exportation et mieux outiller nos PME», osera-t-il innover – et ce serait là un évènement historique, un coup de maître – en reconnaissant la culture comme un pilier de l’économie québécoise et en intégrant les artistes et les organismes artistiques à son projet? Osera-t-il transposer aux arts le discours de sa ministre de l’Économie déclarant qu’il faut «que chaque idée qui émerge puisse être menée au bout d’elle-même», qu’il faut «encourager et développer nos talents, et ce, dès le primaire»?

Et s’il choisit d’investir plus de 45 M$ pour stimuler l’innovation dans le secteur forestier et plus de 48 M$ pour favoriser le développement de celui du manufacturier innovant, qu’est-ce qui pourrait bien l’empêcher d’ajouter au budget du CALQ les 40 M$ réclamés depuis bientôt 10 ans par les milieux artistiques? Qu’est-ce qui pourrait l’empêcher de rêver mieux pour la société québécoise, de miser aussi sur son cœur créatif, sur ceux et celles qui contribuent à forger son identité et qui en font la fierté?

Fabienne Cabado
Directrice générale du RQD

Le patrimoine de la danse présenté aux archivistes du Québec

Sauvegarder et construire. Le thème du 46e Congrès de l’Association des archivistes du Québec, tenu au début du mois de juin, offrait l’occasion incontournable de faire découvrir la richesse du patrimoine vivant et archivistique de la danse à des spécialistes des milieux documentaires. La conférence Le patrimoine chorégraphique au Québec: de nouvelles initiatives pour la transmission, la diffusion et l’évaluation a permis de présenter quelques démarches et réflexions singulières en matière de conservation et de mise en valeur du patrimoine de la danse.

Que sont les archives de la danse?
Toutes les traces qui documentent les activités d’un artiste, d’une compagnie, d’un diffuseur, d’une institution d’enseignement ou d’un organisme de services en danse constituent des archives. En témoignant du processus de création d’une œuvre et de sa manifestation sur scène, les archives permettent d’assurer la pérennité des œuvres, de documenter les tendances artistiques et la diversité des pratiques. Elles permettent également d’élargir la connaissance du public sur la richesse culturelle de la danse et contribuent à la recherche, à la consolidation d’une histoire de la danse et à la valorisation de la discipline.

Conserver ou éliminer, comment choisir?
J’ai profité de la tribune qui m’était offerte lors du congrès pour partager les réflexions d’une recherche en cours sur la fonction de l’évaluation des archives. L’évaluation est l’acte de juger de la valeur des archives et mène à la décision de conserver ou d’éliminer un document. Que doit-on préserver et pourquoi? On a souvent la perception de devoir attendre qu’une compagnie de danse ait de longues années d’existence ou qu’elle mette fin à ses activités pour s’intéresser à la sauvegarde et au traitement de ses documents à valeur historique. L’acte d’évaluer est d’autant plus pertinent dans le contexte où le numérique a véritablement fait exploser la production de documents sous forme de fichiers. Le but de ma démarche est de proposer un ensemble de critères spécifiques à la discipline de la danse qui pourra servir de guide aux artistes dans l’évaluation de leurs archives historiques, et ce, dès le début de leur pratique professionnelle! Ces critères concernent la valeur de l’information ou de témoignage, l’utilisation possible des archives (retransmission, exposition, recherche), les caractéristiques matérielles (rareté, esthétique, fragilité ou obsolescence des supports), la valeur émotive des archives et les coûts reliés à la conservation.

Des archives de la danse à BAnQ
Il existe des outils qui facilitent l’autonomie des compagnies et des artistes quant à la gestion de leurs documents administratifs et historiques. C’est le cas du Guide des archives de la danse que présentait au Congrès l’archiviste-coordonnatrice de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). À l’appui de magnifiques images d’archives provenant des sept fonds en danse que conserve l’institution, Hélène Fortier a également fait découvrir aux archivistes les fonds chorégraphiques conservés à BAnQ Vieux-Montréal. D’ailleurs, saviez-vous que les Fonds Fernand Nault, Martine Époque, Jean-Pierre Perreault, Paul-André Fortier, Festival international de nouvelle danse (FIND), Grands Ballets Canadiens et Ludmilla Chiriaeff étaient à portée de main?

L’espace virtuel EC2_Espaces chorégraphiques 2
Lise Gagnon, directrice générale de la Fondation Jean-Pierre Perreault, est venue présenter la plateforme numérique EC2_Espaces chorégraphiques 2 lancée en septembre 2016. Sa conférence portait principalement sur le rôle que joue ce nouvel espace virtuel pour la danse d’ici et pour la diffusion d’archives chorégraphiques. Nous avons ainsi navigué de la Médiathèque à l’espace Dialogues en passant par la collection très originale des boîtes chorégraphiques développées dans le but de reprendre des œuvres phares du répertoire chorégraphique québécois.

Les archivistes présents à la conférence ont été enchantés de découvrir le riche patrimoine de la danse et les perspectives que nous leur avons présentées. Et si le manque de temps et d’argent sont de réels défis pour les artistes prêts à sauvegarder et mettre en valeur leur patrimoine, il existe toutefois des solutions et des outils concrets pour les accompagner dans leurs démarches. Faisons-en bon usage!

 

Auteure: Valérie Lessard, archiviste, artiste et enseignante en danse.

Table de concertation en patrimoine: fédérer et cocréer des solutions

Depuis mars 2017, une douzaine d’organismes travaillent ensemble à l’élaboration d’un cadre d’intervention en patrimoine. À l’initiative du Regroupement québécois de la danse (RQD), acteurs de la discipline et experts de la documentation et de la muséologie s’appuient sur les constats tirés de l’État des lieux en patrimoine de la danse professionnelle au Québec pour réfléchir aux enjeux prioritaires du patrimoine de la danse et proposer des pistes d’actions.

Quels rôles peuvent jouer les compagnies, centres chorégraphiques et diffuseurs dans la transmission et la reprise des œuvres et des savoir-faire en danse? Comment faciliter la conservation et la diffusion des archives? Quels réflexes le milieu de la danse peut-il adopter pour constituer son patrimoine au jour le jour? Voilà quelques-unes des questions discutées en ateliers thématiques par les participants de la Table de concertation en patrimoine du RQD. Un travail de fonds qu’ils poursuivront à l’automne avec la tenue d’ateliers additionnels sur la collection et la mise en valeur des objets scéniques, le patrimoine à l’ère numérique et les partenariats à mettre en place pour œuvrer en collégialité.

Dialoguer, mettre en commun ses idées et ses pratiques, apprendre des autres, tels sont les principes qui régissent cette Table de concertation. Le cadre d’intervention qui en résultera proposera une série d’actions et guidera concrètement le milieu de la danse vers les ressources adéquates en patrimoine. Pour l’heure, les contributions particulières de chaque participant concourent au développement d’une véritable intelligence collective, favorisant une meilleure connaissance du patrimoine de la danse et la création de solutions fédératives.

Liste des organismes participants
Bibliothèque de la danse Vincent-Warren
Bibliothèque des arts de l’UQAM
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Centre Marius Barbeau
Cinémathèque québécoise
Circuit-Est centre chorégraphique
École de danse contemporaine de Montréal
Fondation Jean-Pierre Perreault
Fond chorégraphique Fernand Nault
LARTech
Musée de la civilisation de Québec
Tangente

Participent également Valérie Lessard, artiste en danse et étudiante en bibliothéconomie et Gabrielle Larocque, coordonnatrice de la Table de concertation et chargée de projet du RQD.

Lire aussi
Patrimoine de la danse: que va-t-on laisser et comment?

 

 

Justice pour les oubliés de la culture

Entre danses ancestrales et peintures rupestres, l’art fut ce qui, il y a plusieurs millions d’années, nous distingua dans le règne animal. Paradoxe de l’évolution: aujourd’hui encore, il faut défendre l’idée qu’il est une composante essentielle de l’humanité. À l’ère de la mondialisation des marchés et de la crise économique permanente, il est même devenu nécessaire de prouver qu’il ne s’inscrit pas seulement au poste des dépenses de notre société. Même si l’on sait que ses retombées ne se mesurent pas qu’en dollars. Dans ce contexte, une toute nouvelle coalition s’efforce de convaincre le gouvernement québécois d’accorder autant de considération aux personnes qui travaillent en art et en culture qu’à la main-d’œuvre d’autres secteurs d’activité.

Mais les croyances ont la vie dure: les chiffres ont beau démontrer que la culture génère plus de richesse que d’autres secteurs, on rechigne à lui donner les moyens de ses ambitions alors qu’on investit sans ciller dans nombre d’industries pour sauver des emplois. Il faut dire qu’avec ses 60% de travailleurs autonomes, la main-d’œuvre en culture, artistes inclus, est quasiment absente des statistiques qui inspirent les orientations politiques. Des pigistes perdent des contrats et voient leurs revenus baisser parce que la situation financière de leur clientèle se dégrade? Cela ne fait tinter aucune sonnette d’alarme dans les hautes sphères. Pourtant, sur le terrain, devoir se priver d’un danseur, d’un rédacteur, d’un agent de diffusion ou de tout autre collaborateur a des conséquences néfastes sur le développement des carrières, des organismes et de la discipline tout entière.

Parallèlement, le faible taux de rémunération des salariés et des contractuels nuit au renforcement des secteurs artistiques. Usés par la piètre qualité des conditions socioéconomiques, les talents se détournent de leur vocation première (une chorégraphe devient directrice de production, un interprète se tourne vers l’enseignement, une médiatrice culturelle devient gestionnaire, etc.) quand ils ne quittent pas carrément leur milieu professionnel qui subit alors une perte totale.

C’est pour ces raisons, et pour quelques autres, qu’est née la Coalition, La culture, le cœur du Québec. Composée de 46 organismes parmi lesquels le RQD, elle a planché sur un Plan d’action avec pistes d’intervention qu’elle a transmis cette semaine au ministre de la Culture et des Communications du Québec. Ses ambitions: améliorer le sort des artistes, artisans et travailleurs culturels et, du même coup, faire de ce secteur économique un creuset plus puissant de la créativité et de l’innovation québécoises, un terreau plus fertile pour la croissance des individus, des groupes et pour la cohésion sociale, et le producteur d’œuvres et de savoir-faire encore plus exportables.

Accaparés par des actualités plus brûlantes, les médias ont malgré tout offert quelque écho à l’annonce de la nouvelle. Le sujet est si vaste qu’il peut toujours faire l’objet d’articles de fond dans divers types de publications. N‘hésitez pas à aiguiller les journalistes que vous connaissez vers cette piste. Pour l’heure, réjouissons-nous de l’ouverture du Ministère à recevoir une délégation de cinq représentants de la Coalition et attendons de pouvoir mesurer l’intérêt que la nouvelle Politique culturelle du Québec va porter aux ressources humaines. Un autre dossier à suivre attentivement.

Fabienne Cabado
Directrice générale du RQD

Lire aussi:

46 organismes réclament un plan d'action gouvernemental pour les ressources humaines en culture

Quatre bonnes raisons de documenter la danse

Certains adorent ça et en font leur métier. Pour la plupart d’entre nous, la documentation et le classement d’archives restent une tâche fastidieuse que l’on reporte systématiquement aux calendes grecques. Pourtant, conserver des traces des œuvres est essentiel à la valorisation de l’art chorégraphique et à la transmission de ses savoir-faire et de ses esthétiques. Comment, en effet, construire et renforcer une identité artistique, qu’elle soit collective ou personnelle, sans balises historiques? Vidéos, photos, notations, programmes, affiches et autres documents sont les témoins d’une mémoire fragile et précieuse à préserver absolument.

Exposer nos richesses
On se plaint souvent du nombre limité de représentations des œuvres scéniques, mais on profite bien peu des possibilités de rayonnement qu’offre la perspective archivistique. De fait, la danse québécoise gagnerait en notoriété si ses artistes et leurs œuvres se retrouvaient plus souvent exposés en galerie ou au musée ou qu’ils apparaissaient dans des documentaires. L’exposition Corps rebelles, présentée au Musée de la civilisation de Québec en 2015-2016 avant d’aller séduire les Lyonnais, en France, est un bon exemple de ce que l’accès à vos documents et à vos archives peut permettre. Tout comme le long métrage sur le parcours de Vincent Warren, Un homme de danse, primé en 2016 au Festival international du Film sur l’Art.

Transmettre nos savoir-faire, actualiser nos œuvres
Louise Bédard, Pierre-Paul Savoie, Paul-André Fortier, Danièle Desnoyers, Ginette Laurin, Marie Chouinard, Daniel Léveillé et Margie Gillis. Tous ces chorégraphes ont, au cours des dernières années, remonté ou recréé une ou plusieurs de leurs œuvres emblématiques. Certains l’ont fait à partir d’archives vidéo et écrites et par une transmission de corps à corps. D’autres ont été approchés par la Fondation Jean-Pierre Perreault pour constituer des Boîtes chorégraphiques qui «rassemblent les éléments porteurs de sens nécessaires à la reconstruction de la chorégraphie et à sa compréhension[1] Un modèle en matière de documentation à des fins de reprise d’œuvres intégrales: tels des scripts, les photos, les schémas chorégraphiques, les plans de salles et d’éclairages ou encore les costumes, fournissent des informations inestimables sur la gestuelle, l’atmosphère de l’œuvre ou sur les intentions des chorégraphes. De quoi inspirer les amateurs de reconstitution pour plusieurs générations!

Mieux se connaître
Plonger dans la documentation d’une œuvre, c’est aussi prendre le temps de poser un nouveau regard sur une démarche artistique, sur un processus créatif et sur l’objet chorégraphique qui en est né. Prendre le temps de le resituer dans un contexte sociopolitique, historique et disciplinaire. C’est se donner une chance d’approfondir la connaissance que l’on a d’une œuvre. Les documents d’archives témoignent d’un temps, d’une manière de faire. C’est à partir de telles sources documentaires que le Regroupement québécois de la danse (RQD) a pu poser les jalons d’une histoire de la danse professionnelle au Québec au 20e siècle avec la Toile-mémoire de la danse au Québec – dont la quatrième et ultime version a été éditée en 2017.

Se tailler une place dans l’histoire de l’art
La danse est souvent une grande oubliée des programmes d’enseignement de l’histoire de l’art et peu d’ouvrages documentent sa naissance et son évolution au Québec. Ainsi, à chaque fois qu’un chercheur jette son dévolu sur l’art chorégraphique, c’est tout un pan de notre histoire qu’il permet de reconstituer et de révéler sous un jour nouveau. En témoignent ces ouvrages et travaux de recherche que le RQD a compilé dans cette bibliographie sélective. Ces publications se sont appuyées sur des recherches pointues sur les archives et les traces laissées par les professionnels de la danse. Multiplions les sources de documentations et facilitons-en l’accès aux étudiants en danse et aux historiens. Si nous ne reconnaissons pas nous-mêmes la valeur de nos productions et de nos pratiques chorégraphiques, de notre patrimoine, qui le fera?