2019-05-07
 
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Repenser notre regard sur la danse

Repenser notre regard sur la danse

Les créations contemporaines nous invitent constamment à moduler notre regard, changer notre point de vue, déconstruire nos référents et ainsi élargir nos définitions de l’art. Elles mettent au défi nos habitudes culturelles conditionnées par des patterns plus ou moins conscients. Comment peut-on alors aborder et percevoir la danse autrement? Quelques clés de lecture par Katya Montaignac.

Comment regarder la danse?
Il n’y a pas de recette! D’une part, tout regard sur la danse dépend avant tout d’un point de vue subjectif basé sur la relation que chaque spectateur entretient avec l’œuvre/la danse/l’art en fonction de son héritage culturel.

D’autre part, de par son caractère fugace et insaisissable, la danse offre une multiplicité d’interprétations. La variété de ces perceptions nourrit et enrichit l’œuvre: «dans l’analyse du geste artistique, le marionnettiste supposé ne tient jamais toutes les ficelles: chaque spectateur, acteur, technicien, organisateur, tient au moins l’un des fils» nous rappelle le chorégraphe Boris Charmatz[1].

1. Prendre conscience de nos lunettes
On essaie souvent de «comprendre» la danse et on se fait dire: «La danse, ça se ressent!» Tel un petit guide pratique pour le spectateur de danse contemporaine, cette courte vidéo[2] illustre de façon simple et ludique la relation kinesthésique intrinsèque à l’œuvre de danse. Cependant, nous ne sommes pas tous sensibles aux mêmes choses. Verbaliser ce qui nous reste d’un spectacle permet de saisir nos habitudes perceptives: qu’est-ce que je regarde dans un spectacle de danse? Et qu’est-ce que j’en retiens (une image, une idée, une sensation, un mouvement…)?

2. Verbaliser ce que nous fait l’œuvre
Toute œuvre chorégraphique présente un projet de corps, d’organisation de l’espace et du regard, éminemment politique. Avez-vous déjà ressenti, comme l’auteur, scénariste et dessinateur Francis Desharnais, la peur de ne pas comprendre[3]? Plutôt que de chercher le sens (caché) de l’œuvre, il me semble personnellement plus inspirant de m’interroger sur «ce que l’œuvre me fait. Qu’est-ce qu’elle transforme en moi, en termes de perception (…), de culture, de discours, de pensée esthétique, etc.?»[4].

3. Échanger, discuter, débattre
Vous êtes mal à l’aise devant une œuvre mais vous ne savez pas très bien pourquoi? Rien de mieux que d’échanger avec un autre spectateur. Partager notre « lecture » ou expérience de l’œuvre entretient et prolonge l’exercice du regard. Nos points de vue ne sont pas nécessairement contradictoires mais complémentaires. Si l’art est vivant, c’est davantage parce qu’il est un lieu de dissensus plutôt qu’un fantasme d’universalité.

4. Réinventer, s’approprier l’œuvre
On compare souvent la danse avec le théâtre parce qu’elle en partage la scène alors qu’elle est sans doute plus proche des arts visuels dans son rapport à l’abstraction et à la sensorialité. Tout discours sur l’œuvre est ainsi une «re-fabrication» de l’objet à travers les opérations de sélection de notre mémoire[5] et de nos perceptions sensibles. Michel Bernard parle du travail de réinvention de l’œuvre par le spectateur[6] et Gérard Mayen d’«une chorégraphie du regard»[7].

5. Actualiser le regard 
Si le travail du danseur consiste à se «dé-saisir» de son savoir-faire et de ses habitudes pour s’adapter à différents rapports au corps et au mouvement, le «travail» du spectateur pourrait se soumettre à un exercice similaire afin de moduler son regard et sa perception en fonction de la singularité des œuvres[8].

Pour terminer, vous êtes-vous souvent retrouvés dans une discussion sur la nature d’un spectacle? Était-ce de la danse, du théâtre, une «performance», une installation, de l’art social? Pour ouvrir la réflexion, j’aime particulièrement cette inspirante question que j’emprunte à Gérard Mayen et qui nous invite plutôt à repérer «par où [passe] la danse?»[9]

 

Katya Montaignac participe en tant que danseuse et créatrice à de nombreux Objets Dansants Non identifiés à Paris et à Montréal, et notamment aux projets chorégraphiques de La 2e Porte à Gauche dont elle signe la direction artistique de 2007 à 2018. Docteure en Études et pratiques des arts à l’UQAM, elle «soigne les maux» des chorégraphes en œuvrant en tant que dramaturge. Elle offrira la formation Élargir son regard et son discours sur la danse à Québec les 15 et 16 février 2019.

 

 

En complément, quelques regards sur la danse:



[1] Boris Charmatz et Isabelle Launay (2002), Entretenir à propos d’une danse contemporaine. Paris: Presse du Réel, p. 177-178.

[2] Planet Dance: Body Talk – Part 1, vidéo réalisée en 2014 par The Place à Londres.

[3] La peur de ne pas comprendre, planche de Francis Desharnais sur la danse pour le blogue de la Rotonde en 2015.

[4] Isabelle Ginot et Christine Roquet (2003), in Être ensemble: figures de la communauté en danse depuis le XXe siècle. Paris: Centre national de la danse, p. 272.

[5] Isabelle Ginot (2006), La critique en danse contemporaine: théories et pratiques, pertinences et délires. Saint-Denis: Université Paris VIII [non publié], p. 48.

[6] Michel Bernard (2001), De la création chorégraphique. Paris: Centre national de la danse, p. 213: «toute écriture chorégraphique d’un spectacle est toujours réécrite non par le jeu de l’interprétation seule, mais par celui du simple exercice de la perception du spectateur».

[7] Gérard Mayen (2004). Pour une chorégraphie des regards. Centre Pompidou, Direction de l’action éducative et des publics.

[8] Pour le philosophe Marc Jimenez (2004), l’histoire de l’art se constitue ainsi «en fonction des œuvres et non pas l’inverse», in L’esthétique contemporaine: tendances et enjeux. Paris  Klincksiek, p. 25.

[9] Gérard Mayen (2005), De marche en danse: dans la pièce Déroutes de Mathilde Monnier. Paris: L’Harmattan, p. 13.

 

Melina Stinson dans Kaléidoscope de Kim-Sanh Châu 

Écho de l’assemblée publique du CAC

Le 15 janvier dernier, le RQD a assisté virtuellement à l’assemblée publique annuelle du Conseil des arts du Canada (CAC) dont le directeur et chef de la direction a fait un bilan du Plan stratégique qui s’étale jusqu’à 2021 et répondu à une dizaine de questions du public.

Soulignant que le soutien à la création autochtone et celui à l’action internationale ont déjà plus que doublé, Simon Brault a insisté sur les efforts déployés pour atteindre les clientèles des groupes prioritaires jusqu’alors peu ou pas desservies. Ainsi, en 2019 comme en 2018, des agents de programmes se déplaceront à travers le pays pour aller à la rencontre d’artistes de tous les groupes visés par l’équité. Si vous en faites partie, n’hésitez pas à vous manifester!

Au chapitre du Fonds Stratégie numérique, l’orateur a rappelé l’existence de nouvelles possibilités de financement pour que les organismes soutenus au fonctionnement puissent accroître leur engagement dans l’environnement numérique et leurs collaborations au sein du secteur grâce à l’embauche de spécialistes et autres consultants. Attention, l’un des dépôts est à date fixe avec une échéance au 4 février et un formulaire assez simple à remplir.

En réponse à certaines questions du public, Simon Brault a rappelé que le taux de succès était établi de manière uniforme dans toutes les régions, soit au prorata des demandes déposées, et il a indiqué qu’avec 3 500 organismes soutenus, il était impossible d’offrir toutes les rétroactions attendues en cas de refus. Aux préoccupations exprimées relativement aux problèmes de harcèlement, il a déclaré qu’aucun organisme ne pouvait agir en chien de garde, mais que le sujet était prioritaire dans les discours et les actions du CAC. En plus d’avoir appuyé la conception de deux trousses pour renforcer les capacités des organismes à contrer les comportements inappropriés, le Conseil n’hésitera pas à intervenir, comme il l’a fait l’an dernier, si un problème sérieux est porté à son attention.

Lire le discours de Simon Brault.

 

Hommage à Chantal Bellehumeur, figure marquante de la danse à Québec

La fondatrice du Groupe Danse Partout, Chantal Bellehumeur (Belhumeur), nous a quittés le 10 janvier 2019. Celle qui avait fondé en 1976 la première compagnie de danse professionnelle à Québec ainsi que l’école de danse qui y était affiliée, de laquelle est née plus tard l’École de danse de Québec, a laissé une trace indélébile dans l'histoire de la danse de la Capitale-Nationale. Témoignages.

«S’il y a aujourd'hui des chorégraphes et des danseurs professionnels qui vivent de leur art dans la ville de Québec, c’est qu’un jour Chantal Bellehumeur a créé la compagnie de danse contemporaine Danse Partout. Épaulée et encouragée par Claude Larouche, elle a mis toute sa foi et sa créativité dans la réalisation de ce projet. Il fallait créer plusieurs chorégraphies par an, former et engager des danseurs capables de s’investir et de coopérer avec sensibilité, mais encore faire vivre tout ce monde au long de l’année. Il était impérieux pour cela de faire des tournées en province, d’accepter de se produire dans les salles les plus improbables, dans les conditions offertes. Chantal Bellehumeur a tenu à faire connaître la danse contemporaine dans les villes de la province et fut en cela une vraie pionnière.»

Danielle Lauzanne
Enseignante et membre honoraire du RQD

 

«Véritable pionnière de la danse contemporaine au Québec et à Québec, Chantal est celle qui a guidé mes premiers pas dans cette forme d’art. Ayant joint Danse Partout en 1977, pratiquement à ses débuts, j’ai été un des témoins privilégiés de l’énergie créatrice de Chantal et de sa grande gentillesse envers ses interprètes. Ces quatre années à ses côtés ont été déterminantes dans ma carrière. Plus tard, au moment où Chantal décidait de se réorienter et de quitter Danse Partout, c’est à moi qu’elle a songé pour prendre le relais. Je crois bien que je ne l’ai jamais assez remerciée pour son geste, car elle m’offrait alors le véhicule parfait pour exprimer ma propre créativité. Le milieu de la danse contemporaine de Québec est tributaire des efforts déployés par cette pionnière qu’est Chantal Bellehumeur. Quarante-trois ans plus tard, le Groupe Danse Partout existe toujours, et continue de jouer un rôle prépondérant dans le développement de la danse à Québec! Merci Chantal!»

Luc Tremblay
Chorégraphe et directeur artistique


«En sortant de l’École de danse de Québec, en 1988, j’ai eu la chance de devenir apprenti pour la compagnie Danse Partout, fondée par Chantal Bellehumeur et alors dirigée par Luc Tremblay. Danse Partout, c’est ce qui m’a permis de rêver au métier d’interprète. J’avais le privilège d’avoir sous mes yeux, au quotidien, cette compagnie qui travaillait dans les mêmes locaux que l’école où j’étudiais. Comme c’était inspirant d’y voir les danseurs de la compagnie, notamment Lucie Boissinot et Ginelle Chagnon, qui furent, pour moi, des rencontres marquantes! Sans la présence de ce modèle dans ma vie, je n’aurais jamais pu m’imaginer de carrière en danse. C’est grâce à Chantal Bellehumeur et à sa vision que la compagnie a pu contribuer de manière significative au développement de la danse à Québec et qu’un milieu est né et vibre encore, quarante-trois ans après sa fondation. C’est donc un peu grâce à elle si j'évolue et me réalise encore aujourd’hui dans le milieu de la danse. Merci infiniment, chère Chantal, pour cet important lègue à notre communauté.»

Harold Rhéaume
Chorégraphe et directeur général et artistique, Le fils d'Adrien danse

 

«J'ai rencontré Chantal pour la première fois quand elle a assisté à un stage où j'enseignais pour Le Groupe Nouvelle Aire à Montréal. Un an plus tard, elle m'a invitée à la joindre à Québec comme artiste invitée pour travailler avec Dansepartout, la compagnie qu'elle avait fondée avec Claude Larouche. C'était le début d'une relation de plusieurs années, au cours de laquelle nous avons développé un rapport riche de travail, d'art et d'amitié. Chaque rencontre, chaque visite à Québec – avec Dansepartout, Claude et Chantal – a approfondi notre connexion. L'atmosphère y était non seulement concentrée et créative, mais aussi si humaine. Tout ce temps, l'esprit, l'âme de Chantal m'a pénétré. Elle m'a plus tard confié comme notre collaboration était d'une importance spéciale pour elle aussi. J'étais bien touchée, dans ses derniers jours, qu'elle veuille me parler pour partager les souvenirs de ces beaux moments ensemble. Pour moi (une anglophone), son nom, Chantal Belhumeur, me semble parfait: je vois dans son nom son caractère – quelqu'un qui a fait de sa vie une chanson, chantée toujours dans sa "belle humeur" – plein d'amour, de générosité et de sagesse. Je suis si contente de l'avoir connue. Je la tiens comme une inspiration.
With great love and respect.»

Nina Watt
Limón Dance Company 1972-2002
University of Hartford, The Hartt School Dance Division 2010- present

 

En savoir plus

 

      

 

Mentions photographiques: 
Images 1. Chantal Bellehumeur dans Mysterioso (1983-84) de Maria Formolo © Inconnu | 2. Chantal Bellehumeur dans Madamoiseau, 1998 © Danse-Cité

Sexisme et misogynie en danse: un mythe?

Depuis quelques années, j’ai souvent discuté du sexisme et de la misogynie en arts et me suis parfois butée à des personnes qui considéraient que la danse échappait à ce fléau «parce que c’est un milieu de femmes». Ce genre d’hypothèse me renverse, puisque j’ai souvent pu observer et expérimenter les inégalités dans le milieu professionnel de la danse. Récemment, je me suis demandé: comment mettre en lumière les dynamiques à l’œuvre? Par où commencer pour espérer un changement radical dans les discours et les pratiques?

Du sexisme en danse
En danse, nous travaillons avec le corps. Je m’étonne qu’on puisse imaginer que ce milieu est moins à risque au sexisme et à la misogynie alors que les corps des femmes – réels et fantasmés – sont des lieux par excellence de domination et de violence depuis des lunes! Personnellement, je crois que notre cécité collective s’ancre en grande partie dans nos biais cognitifs, et peut-être aussi dans une forme de tolérance que nous développons face à la souffrance des femmes dans notre milieu.

Au dernier Rendez-vous annuel des membres du Regroupement québécois de la danse (RQD), on constatait que des efforts épatants étaient déployés pour s’attaquer au harcèlement et aux agressions dans les milieux de travail. Sans surprise, «être une femme» figurait parmi les principaux facteurs de risque pouvant mener à des abus. Au-delà des abus physiques ou psychologiques, plusieurs types d’obstacles ont été soulevés par les femmes présentes ce jour-là, comme de voir son contrat non renouvelé en raison d’une grossesse, démontrant que la précarité économique des femmes en danse ne se creuse pas seulement dans l’inégalité salariale, mais aussi dans la difficulté de préserver sa place au sein des projets. On se rappelait aussi que le sexisme n’est pas que l’affaire des hommes: il s’agit de préjugés qui s’ancrent en nous, au point où – et c’est largement documenté – les femmes en position de pouvoir reconduisent parfois les mêmes inégalités sans le réaliser. Le milieu de la danse n’échappe donc pas au sexisme, des écoles de formation aux structures de diffusion, en passant par les organismes de création.

Dynamiques intersectionnelles
Plusieurs femmes font en outre face à de multiples obstacles simultanément, sans que ceux-ci ne soient pris en compte ou même compris par la majorité de la communauté. Dans un récent rapport sur la situation des femmes en arts au Canada, on révèle d’ailleurs «l’absence d’études sur les façons dont les inégalités entre les sexes peuvent être aggravées lorsqu’elles sont conjuguées à d’autres facteurs de discrimination comme la racialisation, l’âge, l’orientation sexuelle, le handicap, etc.».[1]

Les travaux en cours au RQD sur le harcèlement et le racisme systémique me semblent complémentaires et indispensables à une lutte contre le sexisme et la misogynie. Pour moi, il s’agit de débusquer le sexisme inscrit dans nos systèmes sociaux, métabolisé par les individus qui les composent et mis en œuvre par nos structures.

La charge mentale, le fardeau de la preuve, le poids de la lutte
S’il y a une meilleure (re)connaissance de ce qu’on appelle la charge mentale pour les femmes[2] et qu’on peut s’en réjouir, les dernières actualités en matière de dénonciation d’agressions ont remis au premier plan ce que représente le fardeau de la preuve pour les victimes[3]. Ces mots, «charge», «fardeau», évoquent bien comment se sentent plusieurs femmes autour de moi face aux différents systèmes qui les oppressent.

J’y ajouterais le poids de la lutte. S’il est indéniable que cette lutte ne peut se mener sans les femmes, il me semble nécessaire d’en partager davantage le poids. La solidarité masculine peut être bonifiée par un travail d’auto-éducation en continu. Tant de ressources sont à la portée de tous sur Internet pour faire ses armes et développer sa pensée! Avoir son propre cheminement pour penser les rapports sexistes est un geste d’engagement important et n’exclut en rien les discussions avec des femmes ou des personnes plus aguerries à propos de ces enjeux. Il me semble aussi indispensable que plus d’hommes mettent leur temps et leur expertise au service des objectifs mis de l’avant par les groupes de lutte féministes, par exemple en contribuant à la collecte de données et aux diverses tâches chronophages. Même si ce n’est pas directement à propos d’eux, ils font partie de l’équation.

Enjeux de documentation
Il m’apparait incontournable de brosser un portrait plus précis de la situation particulière en danse au Québec. Qui travaille? À quel salaire? Qui reçoit les subventions? Qui fait partie des programmations? Qui siège bénévolement sur les conseils d’administration? Qui obtient la couverture médiatique? Qui a les postes de pouvoir? Qui arrive à faire carrière en danse plus de 5 ans, 10 ans, 15 ans?

Les associations disciplinaires telles que le RQD ne semblent pas avoir les ressources nécessaires pour colliger ces statistiques qui permettraient de mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre. Dans certaines disciplines, le poids de ces collectes de données fastidieuses et de la production de rapports quantitatifs est porté par des femmes, la plupart du temps de manière entièrement bénévole[4]. Il faut reconnaître que cet engagement, aussi admirable et nécessaire soit-il, contribue à reconduire les écarts entre les femmes et les hommes en arts. Pendant que les femmes travaillent à mettre en place des outils pour rendre visible le sexisme qu’elles vivent, elles n’œuvrent pas à l’avancement de leur carrière artistique à l’instar de leurs collègues masculins. Cela soulève non seulement la question de la précarité des femmes, mais aussi plus largement celle du milieu culturel, qui n’a pas les moyens de ses ambitions pour contrer ces inégalités.

Enfin, nous aurions besoin d’imaginer des outils pour changer nos approches: des ateliers pour comprendre nos biais inconscients, une boîte à outils pour des communications non genrées et de bonnes pratiques promotionnelles, des espaces de parole, etc. En attendant de trouver les ressources pour s’outiller de la sorte, il est possible d’agir à l’échelle individuelle et je nous encourage à continuer collectivement d’alléger le poids de la lutte contre le sexisme porté par les femmes.

 

 © Benoît Paradis

Priscilla Guy
Chorégraphe et chercheuse

 

 


[1]Rapport sur la situation des femmes dans les arts, 17 octobre 2018: http://www.arts.on.ca/nouvelles-et-ressources/nouvelles/2018/un-nouveau-rapport-decrit-la-situation-des-femmes-dans-les-arts-au-canada

[2] La BD de Emma sur la charge mentale a notamment fait beaucoup de bruit sur les réseaux sociaux: https://emmaclit.com/2017/05/09/repartition-des-taches-hommes-femmes/
À noter qu’elle a aussi sorti une BD sur la charge émotionnelle. À lire!

[3] Dans Le Devoir, à propos des plaintes contre Gilbert Rozon: https://www.ledevoir.com/societe/543428/gilbert-rozon-accuse-d-attentat-a-la-pudeur-et-de-viol-impliquant-une-victime

[4] Réalisatrices Équitables(RÉ), Femmes en théâtre (FET), Femmes en musique (FEM).

 

2019 au RQD

J’entame cette nouvelle année avec la gratitude d’œuvrer pour un milieu courageux, engagé et en perpétuelle évolution. Ensemble, membres et équipe du RQD, nous roulons sur la voie que nous avons tracée en 2011 dans le Plan directeur de la danse professionnelle au Québec et tâchons d’ajuster notre vision du monde au gré de ses transformations. De quelle autre résolution aurions-nous donc besoin que de creuser notre sillon en donnant toujours le meilleur de nous-mêmes et en restant ouverts aux changements? Les remarquables qualités d’inventivité, d’endurance, de maturation et de résilience de notre communauté me donnent totale confiance en notre capacité à progresser encore en 2019 et en celle du RQD de mener à bien les nombreux projets en cours. Tour d’horizon.

En marge des activités régulières, qui incluent un programme de formations très fourni, des communications nourrissantes, des 5 à 7 thématiques et les séances de divers comités de travail, le RQD lancera deux publications cette année. Les versions française et anglaise de l’ouvrage Du patrimoine de la danse, État des lieux, perspectives et conseils pratiques seront dévoilées en avril et nous espérons diffuser en novembre une bande dessinée sur les spécificités du harcèlement psychologique et sexuel en danse. Plus tôt, divers outils auront été produits pour contrer ce fléau, en outiller les victimes, de même que pour faciliter la compréhension des concepts complexes reliés à l’appropriation culturelle et à la décolonisation de la danse. À ce chapitre, un troisième cercle de parole favorisera le dialogue autour des enjeux d’une meilleure inclusion dans le milieu de la danse et la participation de l’équipe du RQD à la cellule iDAM de Diversité artistique Montréal devrait se conclure par la mise en place de pratiques encore plus inclusives au sein de l’organisme.

L’équité est aussi au cœur d’autres actions de votre association avec une analyse des tendances en matière de répartition des subventions et de soutien aux créateurs tout au long de leur carrière. Elle se soldera par un rapport d’étude pour pouvoir mieux défendre le besoin de soutien à la relève et la nécessité d’une continuité de ce soutien pour un développement disciplinaire viable. Au sein même du RQD, l’élaboration d’une Politique salariale d’ici le mois de juin vise une plus grande équité à l’interne, mais aussi en regard des salaires dans des structures similaires pour une meilleure adéquation entre la défense des intérêts socioéconomiques des professionnels de la danse inhérente à la mission de l’organisme et ses propres pratiques.

L’actualisation du portail Québec Danse, dont la mise en ligne est prévue pour le mois de mars, compte au nombre des chantiers d’importance en cours, de même que le renouvellement de la planification stratégique du RQD, qui inclura notamment l’adoption du virage numérique. À ce sujet, le ministère de la Culture et des Communications (MCC) nous offre la chance, par l’entremise du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), de profiter des services d’un agent de développement numérique pour faciliter la transformation harmonieuse des pratiques dans l’ensemble de la communauté. Et ce, dès le mois d’avril et pour trois belles années. De quoi permettre de grandes avancées en la matière.

Nous comptons également sur le renouvellement des fonds octroyés jusqu’en avril par le MCC pour bonifier les services du Centre de ressources et transition pour danseurs et pour un projet pilote sur la transition de carrière des chorégraphes, qui inclut une étude menée cette année.

Parmi les autres études auxquelles participe aussi activement le RQD, l’une cherche à anticiper les habitudes de consommation en matière de fréquentation des arts de la scène, l’autre s’intéresse à la médiation culturelle via le numérique et une troisième recense les besoins de formation de nombreux métiers dans l’ensemble de la chaîne danse. De quoi, là aussi, préparer le futur. Enfin, nous fondons également beaucoup d’espoirs sur la réflexion amorcée avec le MCC et les établissements de formation supérieure en danse pour bonifier la qualité de l’enseignement dans les écoles de loisirs et renforcer la filière de formation en danse.

Sur la scène politique, le RQD surveillera de près le premier budget provincial de la CAQ, en mars ou en avril, et les élections fédérales, en novembre, pour évaluer leurs impacts potentiels. Chose certaine, il restera mobilisé pour faire valoir les revendications des professionnels de la danse et défendre l'amélioration de leurs conditions de pratique. D'où l'importance de vous sentir avec nous, nombreux, fidèles et impliqués.


Fabienne Cabado 
Directrice générale du Regroupement québécois de la danse 

Un site Web dédié aux pratiques d’entraînement en danse au Québec

Une entrevue de Linda Rabin par Erin Flynn, une incursion dans le comité des classes techniques du RQD avec Caroline Laurin-Beaucage, des témoignages de danseurs réunis dans un podcast ou encore des résumés de tables rondes: voici un aperçu du contenu original que propose le nouveau site Web Territoires Partagés, conçu par Johanna Bienaise en collaboration avec Julien Blais, Erin Flynn, Natalie Zoey Gauld et Alexis Trépanier.

Bel hommage à celles et ceux qui proposent des espaces de transmission et d’échange, Territoires Partagés donne la parole aux artistes interprètes et aux enseignants pour explorer et documenter la pluralité des pratiques d’entraînement en danse au Québec. Imaginé comme un observatoire d’expérimentations et de réflexions, le site Web offrira prochainement une page de ressources pour approfondir certains sujets en renvoyant vers des articles, des ouvrages, des mémoires ou des thèses.

► Explorez le site

 

Message québécois de la Journée internationale de la danse 2018 par Mélanie Demers

Que l’on s’y abandonne totalement ou que l’on tente d’y résister, nous faisons tous partie du grand mouvement du monde. Inéluctablement, ce système complexe, au-delà de toute compréhension, observe le ballet des humains où les corps se conquièrent, s’envoutent, se voutent, se touchent, se tuent, s’esquivent, se kiffent, se traversent, se transpercent, s’enlacent, s’épuisent et finalement un jour s’éteignent.

Nous obéissons à cet ordre.

En guise de contestation, nous faisons en nos chairs se côtoyer la mort et l’amour, nous cherchons le choc brutal, thermique, tellurique que seul un corps qui a déjà exulté peut connaître.

La danse n’est que l’expression de ce désir d’absolu et de liberté.

C’est sans doute parce que nous redoutons ce grand mouvement du monde, cette si puissante poussée de vie, que nous tentons en vain de l’apprivoiser en ordonnant nos gestes, en réglant nos pas et en codifiant nos élans.

Peut-être que seuls ceux qui craignent réellement le mouvement tenteront de le dominer. Ceux-là m’émeuvent. Ce sont mes pairs et mes compères. Ils feront de la danse un spectacle. Les autres, plus sages, laisseront simplement les pas s’emparer d’eux.

Que notre danse soit portée par un pur besoin d’action ou un désir de création, nos corps sont héroïques, érotiques, nos corps sont sanguins, charnus, charnels, nos corps sont nobles et hors-normes, nos corps sont habités et habitacles.

Mais surtout, nos corps sont souverains, capables de politiser nos débats et de poétiser nos existences. Nos existences qui s’entrechoquent inlassablement dans ce grand mouvement du monde.

 

Mélanie Demers
Chorégraphe et directrice générale et artistique, MAYDAY
► Biographie 

 

Production: Regroupement québécois de la danse
Message: Mélanie Demers, directrice générale et artistique de MAYDAY
Réalisation, montage: Xavier Curnillon

Message québécois de la Journée internationale de la danse par Andrew Tay

Je vois la danse comme une bâtisseuse de communautés. En fait, je la vois créer des communautés chaque jour. Les gens se réunissent par la danse pour incarner les besoins et les valeurs qui leur sont propres. Que ce soit en répétition, dans une boîte de nuit, dans la rue, au centre communautaire, des amitiés et des alliances se forment sur la piste de danse et se prolongent dans la vie au quotidien.

Je vois la danse comme un champ en expansion. Cela me stimule que la danse, la chorégraphie, redéfinisse constamment ce qu’elle est, où elle se pratique et qui elle inclut. La danse survient non seulement dans les salles de spectacle, mais aussi dans les galeries, dans les espaces publics. De plus en plus, la danse se partage et s’apprend en ligne, se taillant une place dans le monde virtuel, apparaissant même lors de manifestations politiques. C’est inspirant de voir des artistes repousser les limites de la forme, pour créer des expériences indéfinissables qui élargissent nos esprits quant au devenir de la danse.

Je vois la danse comme une critique incarnée. Parce qu’elle fait directement appel au corps, la danse a le pouvoir de repenser les stéréotypes de la beauté et la place de notre corps dans la société d’aujourd’hui. Cela m’encourage de voir de plus en plus de danses qui défient avec audace la notion de genre et qui mettent à mal les idéaux de beauté physique démodés et les préjugés culturels. C’est évident, de nos jours, que tout le monde peut danser, que la danse n’est pas réservée à ceux et à celles qui sont physiquement aptes ou aux privilégiés.

Mais surtout, je vois la danse comme une forme de résistance ! Et la chorégraphie comme un outil pour contester les problèmes systémiques et fracasser les hiérarchies dans un sens physique. Quand nous dansons, nous expérimentons différemment le monde autour de nous. Nous apprenons de nouvelles choses à propos de nous-mêmes et à propos des personnes avec qui nous dansons. Je crois que la danse, à son meilleur, nous donne la liberté de proposer de nouvelles manières d’être, d’expérimenter et de vivre ensemble en ce monde.

Andrew Tay
Chorégraphe et directeur artistique de Wants&Needs danse, et commissaire du Centre de création O Vertigo
► Biographie

 

 

 

 

Nouvelle parution : Le Testament artistique. L’art de tirer sa révérence

La rédaction d’un testament fait généralement partie de ces choses que l’on remet à plus tard. Aussi importe-t-il de souligner le sens du devoir, l’audace et la générosité du chorégraphe Paul-André Fortier qui, en se livrant à l’exercice de la rédaction de son testament artistique, a choisi d’ouvrir et de partager sa démarche à la communauté de la danse. Rédigé par Me Sophie Préfontaine et produit par la Fondation Jean-Pierre Perreault, ce guide Le Testament artistique. L’art de tirer sa révérence, propose un ensemble d’outils et d’informations de nature juridique – tantôt générales (succession, patrimoine, legs, testament, etc.), tantôt spécifique (œuvres, droits d’auteur, droits moraux, etc.) – qui faciliteront la réflexion des créateurs sur cette ultime étape de leur carrière.

Le chorégraphe Paul-André Fortier dit avoir abordé la rédaction de son testament artistique comme un projet de création, un cheminement qui lui a permis de réfléchir et d’exprimer ce qu’il souhaitait pour pérenniser ses œuvres. Inutile de dire que le guide recèle une foule d’informations, toutes bonnes à savoir. On apprend, par exemple, qu’il ne faut pas confondre son patrimoine personnel avec celui de son organisme et de son entreprise, et vice versa; que des distinctions existent selon que les œuvres ont été produites au sein d’une OBNL ou d’une entreprise culturelle; ou encore qu’il faut prendre des dispositions particulières si l’on souhaite que son conjoint de fait ne se retrouve pas sans voix et sans droits à votre décès.

Le Testament est conçu par étape de réalisation, allant de la planification à la rédaction. Tout au long de la lecture, des encadrés exposent des scénarios où les conséquences et avantages de tenir un testament deviennent concrets. Finalement, une section incontournable est dédiée aux différents aspects de la Loi sur le droit d’auteur. Ce document représente sans l’ombre d’un doute une précieuse synthèse pour le milieu de la danse, offrant aux créateurs un bel outil pour prendre en main leur succession.

 

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Message québécois de la Journée internationale de la danse par Anne Plamondon

Lorsque le Regroupement québécois de la danse m’a fait la proposition de rédiger le message québécois de la 32ième Journée internationale de la danse, j’ai tout de suite dit oui. Puis l’inquiétude et le doute m’ont gagnée, une sorte de tiraillement, de dilemme intérieur s’est installé. De toutes les facettes de mon identité de femme artiste, l’interprète, la chorégraphe, la professeure, la directrice artistique, la mère et la conjointe, qui pouvait le mieux parler d’Elle, sinon la danseuse? D’aussi loin que ma mémoire se rappelle, la danseuse m’a habitée, a accaparé mon âme, dirigé mes pas, influencé mes décisions, mes passions, mes amours.

J’ai tout appris de la danse, mon école de jeunesse puis de vie, ma raison d’être, ma façon d’être au monde, de le réfléchir, de le faire bouger par la poésie du corps dansant. Elle et moi avons développé une relation d’exception, faite de mystères, de désirs de dépassement, parfois d’incompréhensions et de frustrations mais, plus souvent qu’autrement, de découvertes et de reconnaissances mutuelles.

La danse m’a choisie et je suis devenue, à force d’apprentissages et de patients entraînements, l’une de ses possibles et singulières incarnations, parmi tant d’autres. Car nous sommes des milliers de danseurs et danseuses à en détenir les codes, à en connaître les humeurs, les caprices, les traditions, les avancées.

S’il est d’usage de célébrer, chaque année, la danse comme un en soi, un plus grand que soi, permettez-moi aujourd’hui de transgresser la convention. Parce qu’il me presse de rendre hommage au danseur interprète par qui la danse advient, s’anime, prend forme, devient œuvre, corps scénique, moments de grâce et parfois d’extase, temps de partage méditatif, langoureux, exubérant avec l’autre et avec le public.

J’aime plus que tout la danseuse en moi, mes sœurs et mes frères de studios et de scène, nous qui partageons au quotidien la beauté et les rigueurs de cet art d’interprétation. Un art dont on parle peu, dont on vante peu les prouesses, les inventions, pourtant si concrètes et prenantes dans le corps du danseur. Et comment dire cette relation si mystérieuse, et souvent amoureuse, entre le danseur et le chorégraphe, autour d’une œuvre en devenir.

En dépit des aspérités, des contraintes et des paradoxes du métier, je souhaite du plus profond de mon être de danseuse que ses exigences techniques, esthétiques et éthiques continuent d’être respectées, valorisées et transmises aux générations à venir.

En cette Journée internationale de la danse, j’ose formuler ce désir plus grand que moi et pourtant si fort ancré dans le corps du danseur.

Anne Plamondon, danseuse et co-directrice artistique du Groupe RUBBERBANDance

 

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Formée en danse classique, Anne Plamondon danse avec les Grands Ballets Canadiens de Montréal, au Nederlands Dans Theater II en Hollande et au Gulbenkian Ballet au Portugal. Pendant cette période, elle interprète les œuvres de plus d’une trentaine de chorégraphes, dont Jiří Kylián, Hans Van Manen, Angelin Preljocaj, et crée des premiers rôles dans des œuvres de Ohad Naharin, Pieter de Ruiter, notamment. En 2002, elle intègre le Groupe RUBBERBANDance et en devient co-directrice artistique trois ans plus tard. Professeure qualifiée, elle participe au développement de la Méthode RUBBERBAND qu’elle enseigne partout dans le monde. En parallèle, elle collabore à la création de plusieurs oeuvres avec Kidd Pivot et Crystal Pite, fait partie de la distribution de plusieurs films, crée et interprète Red Shoes, lauréat d’un Golden Sheaf Award au Yorkton Film Festival. En 2012, elle présente, à l’Agora de la danse, sa première chorégraphie, une oeuvre solo intitulée Les mêmes yeux que toi

 

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Lisez le message international de la Journée internationale de la danse du chorégraphe et danseur français Mourad Merzouki et le message canadien de Santee Smith, chorégraphe, interprète et directrice artistique du Kaha:wi Dance Theatre.