Donner à la culture sa juste place
À quelques jours du dévoilement du budget provincial, les milieux artistiques croisent les doigts pour que des investissements supplémentaires leur soient accordés, sans pour autant nourrir trop d’illusions. De fait, si l’on se réjouit des avancées portées par la nouvelle Politique culturelle et de crédits additionnels ponctuellement offerts, les arts vacillent plus que jamais au bord du précipice du capitalisme effréné. Tout en brandissant ces mêmes arts comme étendard de notre fierté identitaire, nos élus ne se risquent pas à l’augmentation pourtant vitale du budget de la culture à hauteur de 2% du budget gouvernemental. C’est que, près de trois quarts de siècle après la publication du Refus global, les arts et la culture n’ont toujours pas trouvé grâce aux yeux du grand public et ils restent englués dans les carcans de la logique marchande.
Englobant traditions, croyances, systèmes de valeurs, modes de vie, droits de la personne, arts et lettres, la culture nous façonne autant qu’elle nous distingue individuellement et collectivement. Contribuant à faire de nous des êtres civilisés, elle apparaît, dans tous ses aspects, comme un droit fondamental dont tout un chacun devrait pouvoir jouir librement et pleinement. À ce titre, elle devrait être une priorité absolue de toute société soucieuse de la protection du vivant, planète et humains compris, et de ses richesses intrinsèques. Pourtant, dès lors qu’il s’agit d’investir pour œuvrer à son développement et à son rayonnement, on se place dans une perspective plus économique qu’holistique. Et même si les chiffres du PIB et des revenus directs et indirects générés par le secteur justifient hautement les investissements demandés, les œillères des préjugés sur la culture restent bien fixées dans les mentalités, elle demeure absente des discours et des débats publics et pâtit dangereusement du manque d’une vision de développement durable.
Que doit-on déduire, par exemple, du fait que les arts et la culture ne recueillent que 3 à 5% des dons des Québécois? Ou encore, que la seule façon qu’on ait trouvé pour encourager la philanthropie culturelle soit d’offrir de très généreux avantages fiscaux aux donateurs les plus fortunés? Quelles voix fortes et convaincantes pourrait-on opposer à ces chroniqueurs et ces animateurs qui vomissent à qui mieux mieux sur les artistes présentés comme des privilégiés, des enfants gâtés vivant aux crochets du contribuable? Que doit-on conclure de la concentration actuelle des inquiétudes sur les GAFA et les enjeux du numérique alors que les dérives possibles et les dangers économiques pour les médias traditionnels étaient prévisibles dès les années 1990? Comment interpréter la distribution massive de productions cinématographiques et télévisuelles en langue anglaise (et par une multinationale étasunienne) dans la perspective identitaire et historique d’un Québec qui s’est tant battu pour mieux vivre en français? Comment ne pas se mobiliser quand la plus grosse part des dépenses en culture des ménages québécois va aux écrans et appareils intelligents? On pourrait dérouler encore une longue liste de questions pour justifier de la nécessité d’une vision à long terme pour sauver la culture.
Notre société se transforme, notre culture avec, et bien du monde en fait les frais: des créateurs les plus démunis à bon nombre d’industries culturelles jadis florissantes et de vedettes dont la fortune aurait autrefois été assurée. Malgré les investissements historiques en culture inscrits au budget provincial en 2018 et prévus pour cinq ans, l’écologie des arts se dégrade de façon alarmante. Ni le virage numérique ni l’entreprenariat culturel auxquels on nous exhorte ne suffiront pour redresser la barre. Il est urgent de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour transformer le regard collectif sur la culture et assurer à cette dernière des moyens à la mesure de sa contribution vitale à notre société. Cela passe notamment par des campagnes régulières de valorisation des arts et par le développement d’une culture de la philanthropie fondée sur la conception du don comme un acte naturel d’engagement civique de la part de la population et des milieux d’affaires.
Fabienne Cabado
Directrice générale du Regroupement québécois de la danse