Émission Révolution, un plus pour la danse
Pour un grand nombre de Québécois, l’actualité la plus récente de la danse, ce n’est pas le succès de la Biennale Parcours Danse, qui a rassemblé près de 500 personnes dont 150 diffuseurs d’ici et d’ailleurs virevoltant entre une soixantaine de spectacles en sélection officielle ou en off. Un évènement majeur et primordial pour le rayonnement de la création chorégraphique québécoise, resté sous le radar des médias et donc, du grand public. En revanche, plus de 1,3 million de téléspectateurs ont assisté à la finale de l’émission Révolution, diffusée dimanche soir sur les ondes de TVA. Un évènement majeur pour la valorisation et la démocratisation de la danse dans ses formes et expressions les plus diverses. Une façon particulière de célébrer l’art du mouvement et d’en servir le développement.
Dans ma lettre de novembre 2018, je pesais les pour et les contre de Révolution qui, depuis, a remporté trois Gémeaux et s’est exportée dans quatre pays. J’en ai suivi la seconde saison avec autant d’intérêt que la première, portant une attention particulière à la dizaine de membres du RQD lancés dans cette compétition dont les vainqueurs empochent 100 000$. On peut questionner certains éléments de cette émission populaire qui active avec intelligence les ressorts du succès télévisuel et, de ce fait, occulte des dimensions fondamentales de l’art chorégraphique comme la temporalité, l’abstraction ou les états de corps. Car ce qui accroche la plupart des gens, c’est d’abord et avant tout la virtuosité, la narrativité et l’émotion. Ne boudons cependant pas le plaisir de voir de nouveaux publics entrer dans la danse par la porte de cette production commerciale.
«Aimer est le grand point, qu’importe la maîtresse? Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse?», écrivait Alfred de Musset. Le fait est que Révolution nous fait aimer la danse dans sa diversité. En témoignent la multiplication des options danse dans les écoles secondaires et une nouvelle affluence dans les écoles de loisir où le contemporain et le ballet retrouvent grâce aux yeux de jeunes qui développent leur esprit critique et comprennent notamment l’importance d’acquérir une technique. En témoignent aussi les téléspectateurs curieux qui suivent leurs danseurs préférés sur les réseaux sociaux et se déplacent au théâtre pour éprouver leur art dans la présence directe et la durée. Ceux-là auront trouvé quelques outils de compréhension et d’appréciation dans les commentaires des juges de la compétition qui, cette année, ont fourni des analyses critiques plus fournies et bien vulgarisées. Il faut dire que le niveau de la compétition est monté d’un gros cran par rapport à la saison 1. Issus des mondes des danses sportives, urbaines, contemporaines et du ballet, les «maîtres» ont aussi donné à goûter une plus grande variété de styles et d’approches avec, notamment, des numéros de gigue, de voguing ou de Ballroom au féminin. Je me suis quant à moi ouverte à des pratiques et esthétiques très éloignées de mes goûts personnels, ce qui nourrit positivement mes réflexions sur la décolonisation de la danse.
À ce titre, Révolution n’opère pas de scission entre arts majeurs et arts mineurs tout en rendant très très poreuses les frontières entre art et divertissement. Elle ne différencie pas non plus professionnels et non professionnels et jette dans la même arène de très jeunes danseurs et des adultes de tous âges. En filigrane, on comprend que tout le monde peut danser s’il en a le goût et s’il s’en donne les moyens, que la danse professionnelle relève de la vocation sacrificielle, qu’il faut parfois faire des choix déchirants et que l’excellence n’est pas souvent couronnée du succès auquel on s’attendrait. Ainsi, parmi les cinq finalistes, se trouvaient: un groupe d’ados de 15 à 18 ans qui a extraordinairement mûri en l’espace d’une saison; un autodidacte de 24 ans décidé à faire de la danse son nouveau métier; un professionnel abandonné par son partenaire sur le fil d’arrivée pour cause de contrat rêvé signé à l’étranger; un duo de salsa triple champion du monde mais encore inconnu au Québec; et le duo gagnant, des professionnels de ballet contemporain qui ont illustré, dans l’une de leurs chorégraphies, la dureté des exils à endurer tout au long d’une carrière.
Une des grandes qualités de Révolution, c’est qu’elle met en vedette des artistes auxquels les médias s’intéressent généralement peu, que cette visibilité facilite le parcours professionnel de plusieurs participants et qu’ils semblent bien appuyés par la production tout au long des épreuves de la compétition. De plus, le monde de la danse étant plus particulièrement multiculturel, l’émission valorise une diversité d’immigrants de première ou de deuxième génération aux yeux d’un Québec qui tend parfois vers le repli identitaire. Dans le paysage télévisuel actuel, c’est une révolution en soi.
Fabienne Cabado
Directrice générale du Regroupement québécois de la danse