Mettre le numérique au service de la création en danse
L’interaction entre la danse et les technologies numériques est devenu mon terrain de prédilection ces dernières années. J’y puise énormément de ressources pour mes recherches sur le corps, et plus particulièrement sur le «corps du futur», inévitablement lié au numérique.
Les technologies fascinent par leur complexité et leur caractère presque magique, mais on est souvent tenté d’y renoncer par manque d’accès, de ressources et de connaissances. On a aujourd’hui un rapport très ambigu à l’intelligence artificielle, par exemple: ses possibilités d’augmentation de notre potentiel nous attirent, elle nous rapproche d’un homme-dieu, omniscient, mais elle nous projette aussi dans nos pires cauchemars de domination de l’homme par la machine, de perte de contrôle de notre propre monde, de scission de l’espèce humaine entre les êtres augmentés et ceux qui ne le sont pas. La question qui se pose à nous, praticiens de la danse mais aussi artistes, citoyens, êtres humains, c’est de ne pas être asservi à ces outils, mais de bien les comprendre pour en faire bon usage.
Décupler ses possibilités de création
J’aime voir le numérique comme un véritable médium de composition chorégraphique qui enrichit les manières de voir et de créer la danse et qui offre des manières différentes de mettre en scène le corps et les relations entre les êtres. Les technologies permettent de dépasser les limites temporelles et spatiales et de réinventer celles de l’image du corps. Formidables outils en recherche et en création, elles permettent de repousser les contraintes physiques, donner accès à d’autres dimensions du temps et de l’espace, transformer la relation entre l’oeuvre et le spectateur… Elles ont un potentiel poétique et métaphorique inouï qui demeure insoupçonné si on ne s’essaie pas à les utiliser. Mettre la danse et le numérique en interaction ouvre un nouvel espace d’expression et de création, qui pousse entre autres à questionner la place des outils et technologies numériques dans notre quotidien et dans notre futur. Comment être en société, comment rester humains dans ce monde de plus en plus virtuel?
Réinventer sa pratique
Mais créer avec le numérique impose aussi des contraintes. Les outils technologiques imposent leur propre rythme sur la création d’une pièce: le temps de programmation, le besoin d’être dans un théâtre pour pouvoir véritablement calibrer les technologies à l’espace, les temps de montage et de démontage, le transport des dispositifs technologiques, etc. À cela s’ajoute l’aspect onéreux des technologies, la complexité des outils, le fait que l’on se sent bien souvent totalement analphabète, dès lors qu’on essaie de discuter avec ces machines (et leurs concepteurs !). Mais l’expérience dans l’usage des technologies numériques donne de l’air. On apprend à organiser différemment le temps de la création, à morceler davantage le processus, à monter des laboratoires de recherche avec les technologies, à collaborer avec les concepteurs, à documenter les essais et erreurs et à grandir dans cet apprivoisement. Autant de choses qui permettent de voir sa pratique sous un jour nouveau, de la renouveler, de l’interroger.
Apprivoiser le numérique à sa manière
Pour tenter l’expérience de l’intégration des nouvelles technologies à sa pratique, il faut donc y aller par étapes. Tout d’abord, se familiariser avec l’univers du numérique, se renseigner sur les outils, les possibilités qu’il offre et sur ce qui se fait. Ensuite, expérimenter les outils qui semblent nous intéresser. C’est là l’étape la plus délicate, car elle nécessite des ressources matérielles et humaines qui peuvent être importantes.
C’est à partir de ce constat que j’ai mis en place le projet des Pépinières Danse et numérique. Je les vois comme un espace d’exploration entre danse et technologies numériques conçu pour offrir aux artistes l’opportunité de faire l’expérience de ces nouveaux outils et modes de création. Premier volet de ce projet, trois exposés offerts en collaboration avec le RQD ouvriront un espace de discussion entre pairs pour mieux comprendre l’espace du numérique et a fortiori ce qu’il apporte et exige dans un processus de création. Artistes et concepteurs partageront leurs expériences pour aboutir collectivement à une clarification de ce qu’est le numérique et, qui sait, donner le goût de l’expérimenter. On vous y espère nombreux!
Chorégraphe, fondatrice et directrice artistique de la compagnie Van Grimde Corps Secrets, Isabelle Van Grimde mène une carrière internationale marquée par des collaborations interdisciplinaires qui élargissent les horizons de la danse contemporaine tout en multipliant les perceptions possibles du corps et de l’œuvre scénique. Le triptyque Eve 2050 est sa dernière création.
À vos agendas:
- Exposé Danse et numérique 1/3 – Le numérique en arts vivants: définitions, pratiques et enjeux. Le 20 septembre.
- Exposé Danse et numérique 2/3 – Corps et technologies numériques: vers de nouveaux modes d’incarnation? Le 6 novembre.
- Exposé Danse et numérique 3/3 – Les technologies numériques: un panorama. Le 11 décembre.