Danse #WeToo
Depuis l’émergence du mouvement #metoo en octobre dernier, plusieurs femmes artistes du Québec ont pris la parole pour dénoncer le harcèlement, l’intimidation et les abus dont elles ont été victimes ou témoins dans le cadre de leur carrière. De tous ces témoignages, peu sont issus du milieu de la danse. Alors que toutes ces femmes libèrent leur parole, solidaires et fières, dans un espoir de changement et d’équité, nous continuons à chuchoter, à garder le silence devant des gestes et des mots que nous savons inacceptables. Pourquoi est-ce qu’un milieu comme le nôtre, composé à 73% de femmes, reste encore aujourd’hui si muet?
Comme l’expliquait récemment Ilse Ghekiere, dans son article #Wetoo: Quand les danseuses parlent de sexisme, «le métier de danseur n’est pas un métier normal. Notre profession est intrinsèquement liée à notre corps. La chose corporelle relève de l’ordre du privé dans la majorité des autres professions. Cette conjonction du privé devenu public et professionnel constitue en soi un point de tension tout à fait crucial et problématique dans notre métier.» Notre corps, objet et outil de travail, nous rend vulnérables. Cette vulnérabilité peut devenir notre force, mais lorsqu’elle est soumise aux abus, nous en devenons les victimes silencieuses. Et malheureusement, ces abus ne sortent pas de notre corps, qui les enferme et les retient, se fait violence et perpétue cette violence, au lieu de les évacuer et de dire #metoo, #wetoo.
Nous sommes plusieurs à avoir été témoins de transgressions dans l’exercice de notre travail. Que ce soit un médecin réputé dans le milieu qui abuse de son pouvoir. Un collègue en position d’autorité qui tente de transformer une relation strictement professionnelle ou amicale en relation intime. Ou un chorégraphe qui s’approprie le corps et la sexualité de l’interprète, sans considération pour son intégrité, en exigeant des mouvements violents, humiliants, sexistes, une nudité gratuite… Le consentement est illusoire lorsqu’il est faussé dans un rapport de force.
Il nous faut impérativement admettre que ces comportements abusifs s’inscrivent dans la tradition de notre formation professionnelle, qu’ils ont infiltré l’écologie de notre milieu. Nous apprenons spécifiquement à respecter le code du silence, la mentalité de meute qui exige d’étouffer notre voix et celles des autres afin de conserver notre position et de protéger le groupe des regards extérieurs.
En septembre, en réponse à la publication du texte The code of silence de Marie-France Forcier, une quinzaine de femmes interprètes et chorégraphes, troublées et choquées, se sont regroupées dans le but d’écrire une lettre qui dénonçait la culture du viol et d’abus omniprésents en danse. C’est en invitant nos collègues à signer que nous avons réalisé l’ampleur du problème : elles étaient sympathiques à la cause et en accord avec le contenu de la lettre, mais seulement quelques-unes osaient signer. Le risque de subir des conséquences professionnelles graves était trop grand pour la majorité.
Nous pouvons briser le silence. Les traditions ne sont pas immuables, nous avons le pouvoir de changer les choses et de faire de notre environnement de travail un espace sécuritaire et inspirant pour tous. C’est pourquoi notre groupe organise une table ronde sur la culture du viol en danse le 1er mars 2018, à Montréal. Exceptionnellement, cet événement est ouvert seulement aux femmes, puisque ce sont elles la majorité des victimes et que nous voulons prioriser leurs voix cette fois-ci. Les hommes alliés seront invités à manifester leur solidarité prochainement. Soyons nombreuses à venir briser le silence et oser dire #NousAussi, #WeToo.
Geneviève C. Ferron