Pour que le spectacle continue
Le 25 janvier 2018, Jamie Wright et Lük Fleury, coprésidents du RQD, s'interrogeaient dans un éditorial adressé au milieu de la danse: le spectacle doit-il continuer? J'aimerais poursuivre la réflexion en partageant mon point de vue de diffuseur spécialisé en danse contemporaine.
Voici le paragraphe qui m'a amené à réfléchir: «Les danseurs ressentent la pression de continuer de danser, peu importe la douleur ou l’inconfort, parfois pour une rémunération en dessous de la moyenne. Les chorégraphes ressentent la pression des diffuseurs de présenter le «bon» type de spectacle, celui qui plaira à leur public. Les diffuseurs ressentent quant à eux la pression des bailleurs de fonds pour remplir leurs salles. Tout le milieu se retrouve dans un presto, et jamais nous ne disons «non, le spectacle ne doit PAS continuer», du moins, pas dans ces conditions.»
Parlons de responsabilités: plusieurs artistes choisissent (veulent) d'être diffusés dans des grandes salles et doivent répondre aux attentes de la fréquentation du public. Il est entendu que si un/e artiste accepte d'être diffusé/e dans une salle de 600 sièges et plus, et en plus dans un festival, les attentes de succès public suivent. Cela va de soi. Le diffuseur ne peut être tenu seul responsable de ces attentes. Et mettre tous «les diffuseurs» dans le même panier comme si nous avions tous les mêmes mandats, comme si nous travaillions tous avec les mêmes paramètres est un amalgame facile, car c'est loin d'être le cas.
Si un artiste choisit d'être diffusé dans une salle, disons de 250 sièges et moins, on parle encore d'autre chose. Aucun des deux choix (grande salle/petite salle) ne prévaut sur l'autre. Ce sont simplement des choix différents qui amènent des attentes différentes en termes de fréquentation de public et de choix créatifs. Le diffuseur doit déterminer avec le/la chorégraphe les objectifs à atteindre. Ces objectifs ne sont pas toujours liés au nombre de spectateurs dans la salle, mais, la plupart du temps, à la qualité de la production artistique.
En ce qui concerne les bailleurs de fonds, jamais ils n'ont demandé à l'Agora de la danse de remplir les salles. C'est évident que si nous ne rejoignons aucun public, les appuis financiers seraient difficiles à défendre.
Depuis sa fondation, l'Agora de la danse accompagne des artistes dans la durée, les aide à développer leur signature. Jamais nous n’avons demandé de présenter le bon type de spectacle, celui qui plaira au public. Nous croyons qu'offrir une signature singulière amènera les publics à s'intéresser à l’artiste qui la propose. Lors de la construction du Wilder-Espace danse, l'Agora de la danse et Tangente ont tenu à faire construire des salles de différents formats répondant à différentes fonctions afin que les créateurs puissent avoir une plus grande liberté dans leur travail créatif.
Nous manquons tous de financement afin de bien pouvoir répondre aux objectifs que nous désirons atteindre. L'Agora de la danse aimerait présenter plus de spectacles de groupe. Une saison en danse contemporaine doit célébrer la diversité des pratiques en présentant tant des petites formes que des grandes formes, afin de multiplier les regards sur cet art, et qu’il demeure vivant et vibrant. Malheureusement, l'état du financement permet aux créateurs de développer surtout des solos et des duos. Si la tendance se maintient, la nouvelle génération de créateurs en danse n’aura qu’une expertise des petits formats. Cela est très inquiétant. Jusqu'à maintenant, la qualité des productions a toujours été au rendez-vous. Mais pourrons-nous maintenir cette qualité?
Pour que le spectacle continue, il faut que les montants investis pour la création d’une œuvre soient augmentés. Rapidement, il faut que le budget du CALQ consacré à la création et à la production soit rehaussé afin de permettre un déploiement créatif. Il faut un souffle de vie pour le milieu de la danse.
D’ici là, il nous faut développer une voix forte et porteuse d’un discours inclusif et rassembleur pour l'ensemble de la collectivité.
Francine Bernier
Directrice générale et artistique
Agora de la danse
© Dominique Malaterre