Martine Époque, une vie à l’avant-garde
Martine Époque a marqué l’histoire de la danse contemporaine québécoise. Son décès, jeudi 18 janvier 2018, laisse un vide dans la communauté. Regard sur le parcours de cette artiste qui n'a jamais cessé d'explorer de nouveaux courants.
Premiers pas d'une Française au Québec
Chorégraphe, gestionnaire, pédagogue et chercheure, la Française adoptée par le Québec s’est positionnée dans les années 1970 dans un champ artistique alors très peu développé. En permettant à la danse contemporaine de revêtir des formes variées, sans aucun parti pris esthétique, Martine Époque en a ouvert les possibilités. De grands chorégraphes et danseurs québécois aux styles bien distincts, parmi lesquels Édouard Lock, Ginette Laurin, Paul-André Fortier, Daniel Léveillé, Daniel Soulières, Michèle Febvre, Lucie Grégoire, Louise Bédard ou encore Louise Lecavalier, ont fait leurs armes auprès d’elle, dans le Groupe Nouvelle Aire.
Son arrivée à Montréal coïncide avec l’effervescence de l’Expo 67, un moment charnière pour la ville qui s'ouvre aux richesses culturelles étrangères. Martine Époque y trouve rapidement sa place. Engagée à l’Université de Montréal pour enseigner pendant deux ans au Département d’éducation physique et y ouvrir une mineure en danse et rythmique, elle concrétise parallèlement rapidement son idée de créer une troupe d’exploration en danse.
Une artiste pionnière
Formée en éducation physique, Martine Époque se distingue de deux grands groupes de danse influents, les Ballets Chiriaeff et le Groupe de la Place Royale fondé par Jeanne Renaud. Avec le Groupe Nouvelle Aire, Martine Époque souhaite transmettre une formation rigoureuse en danse mais affranchie des traditions. Elle met en place des ateliers de création ouverts aux artistes, non seulement en danse mais également issus d’autres disciplines.
Si le Groupe Nouvelle Aire est devenu en l’espace de quelques années un incontournable pour la danse contemporaine à Montréal, il a rayonné au-delà des frontières du Québec. Martine Époque a fait tourner une soixantaine de ses créations à travers le monde entier et contribué à positionner la danse contemporaine québécoise sur l’échiquier international.
Démocratiser la danse
«On a un cœur qui bat, on a la respiration qui nous fait vivre et on a la danse qui nous fait bouger.»[1] En tant que chercheure, sa réflexion tournait autour de la nature et du rôle de la danse dans la vie humaine.
Pour celle qui a permis la création du département de danse de l’UQÀM – dont elle a été directrice et où elle a enseigné une grande partie de sa vie – il n’y avait «pas de meilleure façon d’apprendre que d’enseigner»[2]. Cet apprentissage, elle l’a également destiné au public avec les «Choréchanges» qu'elle a instigué avec Paul-André Fortier et Marie Robert. Spectateurs et créateurs échangent sur les œuvres après la présentation de spectacles créés spécialement pour l’occasion. Martine Époque, pionnière de la médiation culturelle?
Plus récemment, Martine Époque a développé un concept porteur pour vulgariser la danse et permettre au spectateur de prendre part à la création grâce au numérique.
Martine, la visionnaire
Dans les années 1990, avec son compagnon Denis Poulin, elle tisse des liens entre les nouvelles technologies, la chorégraphie et la danse. Mettant l’emphase sur le mouvement, isolé de tout corps dansant, ils sont les premiers au Québec à créer des chorégraphies virtuelles et fondent LARTech, groupe de recherche en technochorégraphie en 1999.
On raconte que Martine Époque pensait aux nouvelles technologies pour économiser sur les coûts de production en permettant aux chorégraphes de commencer le travail sur écran avant de rentrer en studio. Poussant plus loin le concept, elle crée, en 2001, l'œuvre Tabula rasa, qui présente une interprète virtuelle sur écran. Martine Époque a toujours eu une longueur d’avance. Elle avait saisi le potentiel du numérique.
Le legs de cette femme d’exception est remarquable. Le prix Denise-Pelletier en arts d’interprétation lui a d'ailleurs été remis en 1994 pour sa contribution incomparable à la vie culturelle de son pays d’adoption.
Informations complémentaires:
Article du Devoir paru le 22 janvier 2018.
[1] Martine Époque dans une entrevue accordée à Laurent Lapierre et Jacqueline Cardinal le 20 février 2006 à ses bureaux de l’UQAM, citée dans l’ouvrage Martine Époque, dame de danse (2007), cas produit par Jacqueline Cardinal et le professeur Laurent Lapierre, HEC Montréal, p.2
[2] Martine Époque, op. cit., p.7