La diversité culturelle ou l’orchestration de l’insensibilité à l’autre
Montréal, le 17 juin 2017
Lorsque l’on n’est pas accoutumé à l’histoire, et que celle-ci est en train de se faire, il faut s’attendre à ce que de terribles raccourcis drainent les rapports du politique et du culturel. Et pour cause, puisqu’il s’agit dans ce pays, dès le départ, d’une manière de faire déjà bien ancrée, dans l’oblitération de l’autre. Nous avons en effet pris les moyens qu’il faut pour ne pas provoquer un ralentissement indu de notre destin historique, advenant une prise de conscience qui s’avérerait coûteuse à plusieurs égards.
Aussi, quand d’autres «autres» débarquent «chez nous», il faut bien évidemment faire en sorte que ceux-ci s’insèrent dans les cadres selon lesquels ils seront appelés à pleinement participer à la société dite d’accueil.
Que souhaiter de plus?
La diversité culturelle, chargée d’un potentiel de rentabilité indéniable et dont nous nous targuons sur toutes les plateformes internationales, tient le rôle de garde-fou.
À condition que les «divers» – certains le sont plus que d’autres – ne se prennent pas trop au sérieux, et que ceux-ci ne viennent entacher notre bonne conscience, somme toute récemment émancipée, par des relents identitaires non convergents.
Une façon de gérer tout cela consiste à encadrer la diversité, en s’assurant qu’un digne représentant de la société dite d’accueil agisse en tant que contremaître de la diversité quels que soient les domaines dont il s’agit. Cela permet dans l’ignorance générale, érigée en système, de s’assurer, que tous bénéficient et se repaissent de la bienveillance sociale. Car n’allons pas confondre société et culture : la seconde, lorsqu’elle ne rejoint pas la culture officielle, n’est qu’accessoire. Il serait plus qu’opportun de repenser ce processus – interculturalisme oblige, – selon lequel les cultures ainsi se rejoignent et s’intègrent au tout social.
Médiation culturelle avez-vous dit ?
Mimant allègrement la France et sa république, nous nous empressons de parler de communautarisme et de ghetto dès qu’il s’agit de ce que nous ignorons sans vergogne, mais que nous reconnaissons précisément … aux accessoires.
Menu du jour ou «à la carte»? Certains jouent le jeu. D’autres sont hors-jeu. Car depuis un bon moment déjà, l’asphyxie gagne du terrain, prend de l’ampleur, occupe tous les secteurs : c’est celle du déni bienveillant que même l’ignorance ne suffit plus à justifier. Pendant ce temps, ceux et celles qui se reconnaissent, se côtoient «naturellement» et se fréquentent dans les lieux dont ils estiment être les garants, ceux-là, s’assurent d’occuper les places de choix et d’assurer leur relève, ainsi que leurs beaux jours. Toute tentative de dénoncer cet état de choses, et la réalité, comme en témoignent nos plus récentes grandes manifestations culturelles, est assez effarante, se termine invariablement par une déclaration qui prend la forme d’une profession de foi visant à absoudre de façon absolue la société dite d’accueil de toute faute pouvant soulever le doute sur ses bonnes intentions.
À cet égard les medias sont passés maîtres en la matière. Tout comme ceux et celles qui se disent, ou pensent représenter l’art et la culture, et persistent à la croire dans la complaisance générale et l’assurance de ce fait indiscutable qu’ils sont maîtres chez eux.
Les appels à la réconciliation avec les premiers peuples et les initiatives visant la diversité culturelle ne sont pas à l’abri, manifestement, de cette dérive qui mine les nombreux efforts visant à changer le statu quo.
C’est que ceux-ci ne peuvent faire l’économie de l’éducation, des expertises et de l’ouverture (eh oui…), dûment représentées, que cela requiert, y compris bien entendu, dans le domaine des arts et de la culture.
À défaut de ce faire, le Blackface pourra continuer de sévir sur nos scènes, sans aucune mauvaise intention, simplement comme accessoire au service de l’art, de la culture et de l’entertainment.
Et au milieu de tout cela, nous continuerons de plus belle à encourager la rencontre et le dialogue avec les premières nations autochtones, dont les cultures nous précèdent toutes, et dont il nous reste encore à espérer qu’elles pourront nous accueillir.
Peut-être alors en serons-nous dignes.
Zab Maboungou
Directrice artistique, Zab Maboungou/Compagnie Danse Nyata Nyata