État des lieux en patrimoine de la danse professionnelle : la question du patrimoine enfin abordée
Que suis-je? Tout le monde me trouve important, mais personne n’a de temps pour moi. Je suis cette chose pour laquelle on n’a pas d’argent, alors que j’ai une valeur inestimable. On s’occupera de moi « quand on sera plus vieux », mais il n’y a pas d’âge pour me préserver et me mettre en valeur.
Oui, il s’agit bien du patrimoine de la danse, objet de ces paradoxes. Pourtant, tous ceux qui ont abordé cette question s’entendent pour dire qu’il y a urgence d’agir. Le milieu doit se doter d’un plan cohérent, d’une vision concertée, pour aborder de front le sort de cet héritage collectif, un enjeu qui devrait concerner toute la société québécoise. Heureusement, la danse peut se forger quelques espoirs : tout est enfin en place pour examiner cette question et imaginer ensemble des solutions. Le temps est venu de réaliser l’État des lieux en patrimoine de la danse. Le RQD s’y attaque, les travaux ont déjà commencé.
Mandat confié au RQD par le CALQ
En mai 2010, à l’instigation du chorégraphe Paul-André Fortier, le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et le RQD réunissaient une vingtaine de personnes concernées par le patrimoine de la danse, pour une première rencontre exploratoire sur le sujet. Dirigée par Stéphan La Roche, alors directeur de la musique et de la danse au CALQ, la réunion a permis de faire le point et de constater des manques criants. Les participants ont relevé un besoin évident de sensibilisation de tous acteurs du milieu de la danse et insisté sur la nécessité de passer à l’action — avant de voir disparaître des pans entiers de la mémoire de la danse. À l’issue de cette réunion, il fut convenu de former un groupe de travail qui aurait pour mission de réaliser un véritable portrait de la situation. Celui-ci servirait à établir les enjeux prioritaires, examiner des modèles comparables, déterminer des rôles, identifier des pistes de solution et enfin, élaborer une vision d’ensemble.
En novembre 2010, le CALQ choisissait finalement de confier au RQD la réalisation d’un état des lieux. Cette mission rejoignait de belle façon plusieurs des préoccupations exprimées dans le Plan directeur de la danse professionnelle au Québec 2011-2021 qui était alors en cours de rédaction :
« Prendre toute la mesure de la danse professionnelle, c’est pouvoir apprécier les réalisations passées, les savoirs et les savoir-faire qui l’ont constituée au fil des années. Son patrimoine, véritable force tranquille, contribue à la construction de son identité. Source de connaissances et de reconnaissance incroyable, le patrimoine de la danse professionnelle au Québec reste en jachère, à commencer par son répertoire chorégraphique qui contient en puissance des centaines d’œuvres à garder vivantes. Le patrimoine de la danse, ce sont des archives sonores, visuelles, écrites, des artéfacts de spectacles, des histoires à écrire, des monographies à établir, des savoirs pratiques transmis oralement de génération en génération. C’est une culture de la conservation et de la mise en valeur de ce patrimoine artistique qui est à développer pour donner accès à ce qu’il recèle et cultive depuis plusieurs décennies maintenant. Tout est à faire. [1] »
Malgré un consensus sur la nécessité de réaliser cet état des lieux sur la question du patrimoine, il fallut tout de même attendre jusqu’en août 2013 pour que toutes les conditions soient réunies pour entreprendre le travail.
Engagement d’une directrice de recherche
La première étape fut l’engagement, à l’automne, de Myriam Grondin comme directrice de recherche. Travaillant dans le milieu culturel depuis plus de trente-cinq ans, elle a cumulé plusieurs années de pratique en tant que conseillère, principalement à titre d’animatrice, d’analyste, de chercheuse autonome et de rédactrice. Elle a notamment réalisé plusieurs mandats auprès d’organismes en danse dont certains mènent des activités en lien avec le patrimoine. Sa connaissance de la discipline et des défis posés par la constitution du patrimoine en danse a grandement facilité l’élaboration d’un plan de travail reflétant les objectifs généraux des travaux :
- Dresser un portrait de situation le plus exhaustif possible sur ce qui se fait et devrait se faire pour assurer la constitution et la mise en valeur du patrimoine de la danse professionnelle au Québec.
- Sensibiliser, éduquer et motiver les acteurs de la danse quant à leurs responsabilités dans la constitution d’un patrimoine commun.
- Identifier les défis à relever et des pistes d’action, imaginer un cadre général de structuration.
Formation du comité de suivi
La seconde grande étape fut la constitution, en janvier dernier, d’un comité de suivi dont le rôle est de nourrir et valider les travaux de la directrice de recherche, à différentes étapes de la démarche. La composition d’un tel comité est toujours un exercice d’équilibre entre une vision « de l’intérieur » de la discipline et un regard « extérieur » que l’on pose sur les pratiques, de manière à dégager un portrait le plus complet possible de la situation. Le RQD est heureux d’annoncer que les personnes suivantes ont accepté de mettre à profit leurs connaissances, expériences et expertises au service de cette ambitieuse étude :
- Geneviève Dussault – Chargée de cours au département de danse de l’UQAM. Ses compétences couvrent plusieurs domaines, dont la didactique, les danses d'époque, l'histoire et l'anthropologie, avec des expériences dans des champs tant pratiques que théoriques. Elle a également écrit pour Voir et Jeu.
- Jean Gagnon – Actuel directeur des collections à la Cinémathèque québécoise, il fut conservateur associé des arts médiatiques au Musée des beaux-arts du Canada pendant 7 ans et directeur général de la Fondation Daniel Langlois pour l’art, la science et la technologie, notamment pendant la réalisation du projet DOCAM[2].
- Jean Gervais – Professeur retraité du département de théâtre de l’UQAM, il fut également directeur d’Hexagram/UQAM et du Centre interuniversitaire des arts médiatiques. Il a pratiqué et enseigné l’art de l’éclairage en théâtre comme en danse. C’est un éminent spécialiste de l’histoire de l’éclairage.
- Sylviane Martineau – Conseillère culturelle en danse au Conseil des arts de Montréal, elle a travaillé auparavant au sein d’organismes comme la Fondation Jean-Pierre Perreault, Danse-Cité et Diagramme Gestion culturelle. C’est une ancienne danseuse aussi.
- Theresa Rowat – Actuellement directrice des Archives des Jésuites au Canada, elle fut directrice et archiviste universitaire au Service des archives de l'Université McGill. Elle a participé à divers comités du projet DOCAM et est auteure de l’Étude sur les collections de danse au Canada. Elle a conseillé Paul-André Fortier pour la transmission de ses archives à Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
- Pierre-Paul Savoie – Directeur artistique et chorégraphe de PPS Danse. Intéressé depuis longtemps à la question du patrimoine, il fait partie d’un groupe de travail élaborant un projet de musée des arts vivants. Il fut président du RQD de 1994 à 2004.
- Mario Veillette – Chorégraphe et danseur de Québec. Il enseigne entre autres l’histoire de la danse à l’École de danse de Québec et est passionné de patrimoine. Il suit activement le dossier de la nouvelle Maison de la danse à Québec qui intégrerait un centre de documentation. Il a déjà siégé au conseil d’administration du RQD.
La première rencontre du comité de suivi a eu lieu le 27 février dernier. Les interventions des membres ont non seulement servi à valider le plan de travail, mais aussi à mieux cerner les éléments constitutifs du patrimoine de la danse.
Les consultations débutent
Le cœur d’une démarche d’état des lieux est évidemment l’exercice de consultation qui sert à dresser le portrait des pratiques actuelles de documentation, de préservation, d’archivage et de mise en valeur du patrimoine dans le milieu de la danse. Pour démarrer ces consultations, Myriam Grondin a d’abord rencontré quatre organismes du milieu dont le mandat intègre une mission de conservation ou de transmission du patrimoine de la danse. La réunion, tenue le jeudi 13 mars, a rassemblé des représentants de la Bibliothèque de la danse Vincent Warren, de la Fondation Jean-Pierre Perrault, de Tangente et de l’École de danse contemporaine de Montréal. La rencontre visait surtout à actualiser la connaissance des contextes dans lesquels ces organismes exercent leurs mandats respectifs. Ceux-ci étant aux premières loges de l’objet étudié, il était important d’établir une dynamique de collaboration et de concertation avec leurs représentants, avant de poursuivre l’enquête auprès des autres acteurs du milieu de la danse. Au cours des prochaines semaines et ce, jusqu’en juin, les consultations se feront selon les méthodes suivantes :
- entrevues téléphoniques ou en face à face, ou rencontres en petits groupes;
- sondage sous forme de questionnaire transmis par Internet;
- séances de travail en groupe.
Myriam Grondin procédera par échantillonnage en sélectionnant des participants parmi tous les secteurs de la danse, et même au-delà. On y retrouvera :
- des interprètes, des chorégraphes, des représentants de compagnies de danse;
- des diffuseurs, spécialisés et pluridisciplinaires, ainsi que des producteurs d’événements;
- des enseignants et des directeurs d’écoles de danse;
- des organismes de services;
- des acteurs extérieurs au milieu, mais liés au sujet de la recherche (représentants de BAnQ et de centres d’archives, des spécialistes en conservation et archivage, des représentants d’organismes comparables, des utilisateurs d’archives, des universitaires, etc.).
Cette première étape de consultation est celle qui dressera le portrait de la situation actuelle ou, en d’autres mots, produira l’état des lieux à proprement parler. De cette étape émergera un diagnostic sur lequel le conseil d’administration du RQD sera appelé à se prononcer lors de son Lac-à-l’épaule annuel en juin prochain. Les consultations du milieu se poursuivront ensuite de juin à octobre, pour préciser les enjeux et identifier les pistes de solution pouvant mener à une vision d’avenir. Au terme de cette étape, et après validation par le comité de suivi de diverses hypothèses d’actions collectives et individuelles, un scénario à privilégier sera soumis au milieu de la danse, pour discussion. Cette étape importante correspondra au prochain rendez-vous annuel des membres du RQD, en octobre 2014. Par la suite, Myriam Grondin préparera son rapport, détaillant à la fois le scénario à privilégier et les conditions de réalisation de ce scénario. La direction du RQD et les membres du comité de suivi auront bien sûr à valider cette étape finale prévue pour janvier 2015.
Une mobilisation essentielle
Aucun portrait de situation ne saurait être représentatif sans une participation la plus généreuse possible des participants qui seront consultés au cours des mois à venir. Soyez à l’affût! Pour certains, vous serez interpelés de manière individuelle; pour les autres, il y aura d’autres occasions de contribuer à ce projet collectif. La question du patrimoine a souvent été mise sur la voie de service et voilà que le milieu de la danse dispose enfin du levier pour passer à l’action et prendre en charge son héritage.
> Version téléchargeable de l'article
[1] RQD, Plan directeur de la danse professionnelle au Québec 2011-2021, p. 82
http://www.quebecdanse.org/images/upload/files/PlanDirecteur_web_version_française_finale.pdf
[2] Documentation et conservation du patrimoine des arts médiatiques : http://www.docam.ca/